Tords-toi, tu seras redressé, disait Lao Tseu. Parce qu'on est tout tordu, à la base. Pareil pour le monde. Tout tordu, quand on le croit bien droit. Inversement, on peut croire tordu ce qui est vraiment droit. Je me ressasse cette formule depuis au moins vingt ans. Céline l'avait bien compris, ne suivait en fin de compte que le précepte du Vieux. On en parlait, l'autre jour, avec le Singe. (On ne peut pas s'en empêcher, au bout d'un moment, il faut qu'on en parle, du Ferdinand, qu'on y revienne, il en connaît un rayon, lui, le Singe, et quelle passion...) Mais être redressé, quand on est tordu à ce point... Ça l'a tué. Là on est bien d'accord. Ce n'est pas la Guerre, ce n'est pas l'exil et la prison non plus qui l'ont usé et finalement tué, c'est les points de suspension... La moindre virgule me passionne, écrivait-il dans une lettre, en bricolant Mort à Crédit. Il avait la passion, la maladie de la ponctuation et finalement du Silence, qu'il ne trouvait jamais, des trous, des trous de la dentelle à sa maman. Le petit garçon à son papa et à sa maman. Une merveille, le petit Louis, vraiment, élevé dans le coton... Vous allez voir!... Il fallait qu'il en soit digne, de son statut de merveille... Le Singe me dit qu'il se passe quelque chose de terrible, en plein milieu de Mort à Crédit. C'est là que son style devient vraiment haletant, que les trois petits points se mettent à strier l'air comme des balles... Ça coïncide avec la mort réelle de son père... Il se met alors à prendre une voix de tout petit garçon, me dit le Singe, il est perdu... (Perds-toi, tu seras retrouvé...) Le Singe aussi, il est tordu et pareil quand je le vois je me dis qu'il pourrait se tuer à se tordre de la sorte pour être redressé. Vous le verriez marcher... Il est en guerre. Bien amoché déjà. Vengeance est inscrit sur son blason. Il finit toujours par me faire rire. Il pourrait en prendre ombrage, qu'un benêt inculte tel que moi se poire ainsi. Du rire de l'ignorant, peut-être bien, de l'imbécile qui a si peu à dire. (Le sourire ne fait pas tout, pouvait-on déjà lire sur mes bulletins scolaires.) Mais il a une bonne nature. La joie qui émane de lui est proportionnelle à son courroux. Il vit dangereusement, quand même. À la guerre on y laisse forcément quelques plumes, quand ce n'est pas la peau. Moi j'ai vu ce que ça donnait, de m'y plonger vraiment, de frôler même l'asile en rigolant : rien de bon. Mais je suis d'une nature peut-être plus fragile. Je me dis maintenant que c'était juste peut-être pour être à la hauteur de mon statut de merveille... (Vous allez voir!...) Conneries... Et quand mon père est mort, n'est-ce pas, pour de vrai... Tout ça est d'une banalité affreusement pathétique... On devait aller jouer aux boules, avec le Singe, ça me semblait être un projet autrement plus essentiel que partir à la guerre ou marteler furieusement nos carcasses toutes pourries... C'est alors que je me suis dit : Pose tes lunettes, tu y verras plus clair...
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