Le Paradis... mais peut-être pas pour tout le monde. J'étais arrivé. J'étais une merveille. Il n'y en avait plus que pour moi. Je lui ai piqué sa poupée. Je lui ai piqué sa mère. Il me fallait tout. Et tout de suite. Et je cassais tout, à un moment ou à un autre. Pourquoi? — Pour voir ce qu'il y a dans le ventre, ai-je répondu dès que j'ai su m'exprimer. Je lui ai cassé sa poupée. Je lui ai cassé aussi sa mère. Et puis il y avait le père, l'ombre de mon père. Alors lui je l'ai tué, à petit feu, après lui avoir piqué sa femme, estimant d'emblée qu'il n'avait rien dans le ventre. Rien de très original. Voilà, le Paradis, ce que c'était. La Famille. Ce n'était plus pareil, quand ma mère était entre ma sœur et moi. Il n'y avait alors plus que ma mère, qui sentait le parfum et le lait. Son odeur anéantissait toutes les autres. Je n'avais plus envie alors que de me vautrer sur ma mère, dans ma mère, même si parfois j'avais l'impression de m'y noyer. Mais ma sœur, je me suis toujours dit, je lui ai tout volé, tout saccagé, tout salopé son monde. J'étais une merveille. Tout me réussirait, me réussissait même déjà, destiné à ce qu'il y avait de plus grand. Elle, dans le meilleur des cas, en bûchant, elle finirait secrétaire. (Si je suis devenu un raté, c'était peut-être juste pour me faire pardonner.) C'était autre chose de bien plus compliqué que juste ma sœur et moi, la Famille. Ma sœur se consolait avec mon père, qui peut-être aussi se consolait avec ma sœur. D'ailleurs, ça sautait aux yeux, elle ressemblait physiquement plus à mon père et moi plus à ma mère. Ils brunissaient au soleil, alors que nous, avec nos peaux claires, on y cramait comme des vampires. Mais nous, on était forts. Eux, ils étaient faibles. C'était comme ça. C'était même dans le sang. J'étais de la mère et elle du père. On ne pouvait rien y changer. D'ailleurs, personne ne cherchait à changer quoi que ce soit. Je me dis qu'elle aurait été peut-être plus heureuse sans moi, ma sœur, qu'elle aurait eu peut-être une meilleure vie. Moi qui dans ma rapacité absorbais tout. Pour finalement tout détruire. Plus tard, vers les dix ou douze ans, me sentant à moitié orphelin, je me disais parfois qu'on se serait peut-être bien mieux portés pour de bon orphelins. J'avais des fantasmes morbides. Les parents, sur le chemin du retour, en voiture, rataient un virage... J'avais honte, me trouvant même monstrueux, du sentiment de libération que ça me procurait. Le pire, c'est que je les adorais.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire