Le drame s'est joué là. (Pas besoin de lunettes pour le voir.) Il n'en reste rien. Il n'y a plus que ma parole. Une mouche, verte, m'importunait, tapait à l'intérieur contre la vitre. J'ai essayé de la chasser. En vain. Ai compris bientôt qu'elle était sur sa fin. Gagné alors soudain par un respect sacré. L'ai regardée, longtemps, gravement, agoniser. (Un quart d'heure, c'est long, très long, dans la vie d'une mouche.) Elle ne voulait pas mourir. Cette toute petite vie se débattait pour rester. Pour prolonger sa vie de mouche. (Fascinée par la merde, ne vivant que pour la merde.) Mais elle faiblissait de plus en plus. Jusqu'au dernier zzzzzz, plus fort que les autres, comme pour s'arracher au néant qui l'emplissait, mais qui l'a fait au contraire y pénétrer brusquement, totalement, définitivement. Le dernier vol de la mouche. Et la voici soudain sur le dos. Les pattes en l'air. C'est étrange, ce moment, comme si elle ratait un saut périlleux arrière, et tout s'arrête brusquement. Le cadavre de la mouche. Plus tout à fait la mouche. Et le silence. Et le monde indifférent. À part moi, le spectateur. Ému. Pas énormément non plus. Une émotion proportionnée à la vie et aux dimensions de la mouche. (Mais que sais-je, moi, de la vie d'une mouche?) Un jour ce sera moi, sur la Scène, une autre mouche. Une autre vie de mouche. (Fascinée par la merde, ne vivant que pour la merde.) Et le monde sera tout autant indifférent que pour la mouche. Sauf les spectateurs, s'il y en a, qui projetteront leur propre mort comme je l'ai fait pour la mouche. Me débattrai-je aussi? Finirai-je aussi les pattes en l'air? Il y a de fortes chances. (Sinon, pas de spectacle.) Je l'ai prise délicatement par une aile et l'ai foutue à la poubelle. Et la vie a repris, tranquille, même si elle ne s'était pas vraiment interrompue, sauf pour la mouche.
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