Je croyais avoir tout brûlé. Mais je savais bien que je n'avais pas tout brûlé. Ce que j'ai dit au Singe, il n'y a pas longtemps : J'ai tout brûlé. À la décharge. Tout dans le coffre de la voiture et hop. Toute cette merde. Cette merde qui m'obsédait. Alors pourquoi lui avoir dit que j'avais tout brûlé si je n'avais pas tout brûlé? Parce que ça ne comptait pas, ça... Ça n'était même pas digne d'être brûlé. Et puis c'était dans un cahier de dessin, un croquis, il restait encore des feuilles vierges, je n'allais quand même pas brûler tout ce très bon papier. Parce que je respecte le papier. Arracher les pages souillées? Ça n'aurait plus été un cahier. (Je respecte les cahiers...) Après avoir (presque) tout brûlé et avoir brûlé peut-être aussi auparavant le seul livre qui comptait, une lettre, au début, à une inconnue, un livre fleuve, à la fin, un livre étang, où j'étais vraiment, un livre total, risible et grave, un livre debout, avec deux jambes, deux bras et une valise, plein de peine et de joie, après peut-être aussi avoir tué ma mère — je me souviens, c'était dans la cuisine, peu avant l'aube, d'un seul regard — je suis devenu fou. Quand j'étais fou... avais-je coutume de dire à une époque à mes amis, et ça les faisait toujours rire. Mon détachement... (Il faudrait toujours, pour certains, que tout soit dramatique...) Quand j'étais fou, en plus de compter systématiquement les pigeons sur le toit et même tous les oiseaux qui passaient dans le ciel, de léviter sur ma paillasse dans mon gourbi, d'être en société parmi les fantômes et les bêtes et bien d'autres (trop) passionnants dadas, je lisais (un peu) les cahiers d'Antonin Artaud et j'en pleurais. De pitié. Des grosses larmes brûlantes. Tout ce qu'il disait, tout ce qu'il voyait, je le voyais aussi. En pire. (Je n'avais jamais su les lire avant et je n'ai jamais su les lire après, ses cahiers.) J'ai alors eu aussi au bout d'un moment pitié de moi... Comme tout ça est pathétique... (En voilà un, Artaud, qui n'a pas su tenir ses chevaux... Quel gâchis...) Et moi j'avais tout brûlé, avant de devenir vraiment fou. Pour peut-être même devenir vraiment fou. Car j'avais besoin d'y aller, à la décharge et au delà. J'étais jeune, assoiffé d'Aventure... C'était toujours Tout ou Rien, le plus souvent rien... Je me souviens précisément de toutes les peintures — à l'huile — que j'ai brûlées. Toutes d'une très grande laideur mais qui me fascinaient. Peintes dans la pénombre. Un christ bleu... Ma version (jaune) du Cri de Munch... Je me levais la nuit pour me planter devant... En émanait une lumière glauque, malsaine... Je passais aussi des heures à me regarder dans les yeux, dans le miroir, intensément, jusqu'à la fusion... (Longtemps, après cette aventure, j'ai évité les miroirs...) Je me souviens quand j'ai balancé les toiles dans le feu. Je me souviens aussi quand les feuilles de mon livre se tordaient, dans la cheminée de la maison où mon père était mort. Je me souviens de tout. On ne brûle que ce qui compte vraiment. Le reste, ça ne compte pas vraiment. Je ne regrette pas. Je ne brûlerai sans doute plus jamais rien — pour dire l'opinion médiocre que j'ai de moi. Ce n'est pas le chaos, qui mène à la folie. C'est au contraire la vision un peu trop forte d'un cosmos. En tout cas en ce qui m'a concerné.
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