Le Paradis, c'était peut-être ça. Une fille — je n'ose pas dire une femme car pour moi, preuve de mon incurable immaturité, toutes les femmes, même centenaires, sont encore et avant tout des filles et il me semble qu'il y a toujours quelque chose de faux, de fabriqué, dans cette image de la femme qui me vient quand je prononce le mot — une fille, disais-je, autrefois, s'est crue et même peut-être déclarée, au moins sur le papier et pour ses proches, mon âme sœur. (Elle était magnifique, étincelante, d'une beauté sauvage, à couper le souffle, le mien en tout cas, je l'adorais, j'ai traversé le monde pour la revoir et pour la perdre, ça a failli m'anéantir et j'en suis quelque part aujourd'hui très heureux.) Mais pas du tout, avais-je rétorqué à son ami, le terne peintre homosexuel venu gauguiniser au Paradis des cannibales en compagnie duquel on était allés mastiquer d'insipides sushis dans une gargote sans âme et hors de prix, j'ai déjà une sœur, et donc déjà une âme sœur... Elle avait fait la grimace, d'autant plus que non... non... je ne suis pas du tout un artiste... et pas non plus un écrivain... n'en ai d'ailleurs pas la prétention, ni même l'ambition... Quel ennui, les artistes, les écrivains surtout... Quoi, alors?... Un chômeur radié, un paresseux, un promeneur, pour ne pas dire un vagabond, le plus souvent autour de ma chambre, ou juste dans ma tête... Toutes ses médiocres illusions sur moi de midinette ultramarine sophistiquée, déjà bien entamées, ont fini de se dissiper dans les vapeurs écœurantes des gyosas... Le soir même, dans la chambre d'hôtel avec vue sur la mer — les pieds dans l'eau, disait le prospectus — elle se refusait à moi pour la dernière fois... Évidemment, j'aurais dû dire oui, mon âme sœur, évidemment, enfin trouvée!... Mon goût, très douteux, pas toujours consciemment, pour le sabordage, surtout quand le navire est somptueux, les cales pansues de merveilles, les voiles gonflées voluptueusement… Mais je n'ai jamais eu qu'une sœur... N'en ai jamais voulu d'autre... Elle était là, ma sœur, sur le petit banc en pierre, c'était déjà l'automne, j'allais vers elle, j'allais toujours vers elle. Il n'y avait qu'elle. Mon âme sœur. Qui sentait tellement bon. Elle lisait. (Je l'ai toujours vue lire. Pas comme moi, qui m'y suis mis sur le très tard, et avec parcimonie, la plupart des livres me tombant vite des mains.) C'était peut-être ça, le Paradis. Le battement de mon cœur en retrouvant ma sœur. Je venais un peu l'embêter, tirer un peu sur sa jupe, sur son livre, qu'elle en sorte, de son livre, de sa rêverie, pour s'occuper de moi.
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