Un peu plus tôt, dans la ville déserte et glacée, j'ai croisé deux créatures élancées qui semblaient chercher leur chemin. J'ai voulu les renseigner mais leurs oreilles ne m'entendaient pas et leurs yeux ne me voyaient pas on aurait dit, comme si on ne faisait pas partie du même monde. Ou alors, flairant l'importun, elles ont fait comme si je n'existais pas. Je les ai laissées se débrouiller. Tant pis pour elles. En repassant, plus tard, revenant du supermarché avec mes sacs de courses, elles étaient toujours là, dans la même rue. Cette fois je ne les ai pas même regardées. Qu'elles se débrouillent. Qu'elles restent dans leur monde. Je voulais juste être gentil. Je n'avais aucune arrière-pensée. Elles auraient pu être vieilles et moches je me serais pareillement inquiété de leur sort. Au supermarché, la caissière, tout en scannant mes code-barres, avait pris son talkie pour prévenir l'agent de sécurité qu'une famille entière de Roumains venait d'entrer. Elle avait fait une description très détaillée du papa, avait-elle-dit, le papa, taille moyenne, porte une veste rouge, a les cheveux mi-longs, une moustache... Puis, son devoir accompli, elle m'avait regardé avec complicité, comme si on avait fait partie du même monde, à ce moment-là, mais moi je ne l'avais pas regardée du tout avec complicité, je m'étais même dit alors que soit je n'existais pas, soit j'étais complice et que c'était souvent parce que je ne voulais pas être complice que je n'existais pas, parce que j'aurais préféré encore être Roumain plutôt qu'être complice...
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