[Retour en Ozuie.] Il y a aussi les ruines. C'est souvent émouvant de visiter les ruines. Il n'en reste pas grand chose. Juste des petits bouts. On imagine comment c'était avant, à partir des petits bouts, des ruines. Alors, ça a commencé comme ça, on se dit. Au début, était le mais... C'est même la genèse d'Ozuie... C'est pas rien... C'est un mais tout petit, presque timide, qui nous invite, bien gentiment, en souriant, qui nous fait voir l'autre côté... Il ne force jamais rien, ne fait jamais le malin... Il n'a rien à prouver... Il y a des trous. Il y a des vides. Il y a même beaucoup plus de trous et de vides que de tout autre chose. Ce n'est pas Ozu, qui a décidé qu'il en serait ainsi. C'est le Temps. Et la négligence des hommes. Si on avait su conserver la chose, ce ne serait pas une ruine, elle serait là tout entière, avec ses propres trous, ses propres vides déjà. Peut-être qu'un jour on retrouvera d'autres bouts et qu'on pourra les coller à ce qu'on a déjà. En attendant, on se contente de ce qu'on a, de ces ruines. Et on les trouve tellement belles, tellement émouvantes. C'est même peut-être bien plus beau et émouvant que si on avait tout conservé. Ça nous dit l'impermanence de tout, y compris celle de l'œuvre. Celle de l'humain, celle des sentiments, celle du monde. Les instants qui ne reviendront plus jamais. Ça nous dit la disparition. La mémoire s'érode. Il n'y a plus que quelques atolls vacillants léchés par la mer du Néant. Bientôt, l'Oubli. Il n'y a pas lieu de s'en inquiéter, encore moins de s'en révolter. C'est comme ça. Peut-être, à la rigueur, y a-t-il seulement lieu de s'y préparer. Même si ce n'est peut-être pas non plus une obligation, pas forcément nécessaire. C'est une question de tempérament. Soit on s'y prépare. Soit on ne s'y prépare pas. De toutes façons, l'issue sera la même. Ça raconte ce qu'on veut que ça raconte. Ça raconte même peut-être seulement ce qu'on est. C'est à dire pas grand chose. Il reste l'émotion. C'est un train qui s'en va. On le regarde s'en aller. Puis disparaître. C'est de la joie. C'est de la peine. C'est de la joie mêlée de peine. C'est ce qu'il y a de plus précieux. Et ça disparaîtra aussi, comme tout le reste. C'est le train. C'est tout. Et avant la disparition, on aura vécu ce qu'on aura vécu. On aura, dans sa jeunesse, été diplômé, mais... on n'aura pas trouvé de boulot, parce que 1929, c'est la Crise... et puis aussi peut-être parce qu'on n'avait pas tellement envie... On aura un peu angoissé, mais... pas trop non plus... On n'aura pas trouvé de boulot, mais... on se sera bien amusé, car c'était tous les jours dimanche, il y avait quelque chose de tellement bon dans ces moments de flottement ou rien encore n'était déterminé... Puis, on aura enfin trouvé un boulot et même un bon boulot, mais... on aura alors dû prendre le train, pour aller au boulot, dans ce monde soudain si clairement déterminé, et s'éloigner alors de sa jolie fiancée...
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