J'ai eu du mal à sortir de sous ma couette. Toujours ce moment, plus ou moins long, au réveil, où je me demande où je suis, où je me demande même quand et qui je suis. A un moment, j'accepte la fiction la plus évidente, ou plutôt elle s'impose à moi, conscient qu'il y en a tellement d'autres possibles, presqu'à regret et honteux j'accepte à ce moment crucial d'être moi, quel manque de fantaisie, je me dis alors, car je sais que je pourrais alors en choisir une autre, n'importe quelle autre et que si je choisis d'accepter la plus évidente, c'est avant tout parce que j'ai peur de me noyer, m'agrippe alors à mon petit moi comme à un bout d'épave après naufrage dans le vieil océan. Il me fallait du tabac, c'est tout. Alors, aller au bureau de tabac. En sortant, serré jusqu'au col dans mon caban breton, une lame de froid m'a entaillé vicieusement sous la fesse gauche. Encore un djinn usé jusqu'à la trame qui se déchire de partout. Là, c'est mon djinn de paresseux, celui que j'enfile quand je reste chez moi. Ce n'est pas le travail qui l'a usé, celui-là, c'est la paresse. Une seconde peau. Alors, je suis allé au bureau de tabac. C'est fait. Mon effort de la journée. Il m'a fallu du temps pour me décider. (Une expédition. C'est bien au moins à cinquante mètres de chez moi.) J'ai pris du pain aussi, en passant, comme ça demain je n'aurai pas à sortir je me suis dit. Du pain et du tabac. De quoi apaiser la faim du corps et celle de l'âme. Je n'ai besoin de rien d'autre. Et mon djinn de paresseux qui est maintenant déchiré sous la fesse gauche. Je prends ça avec philosophie. C'est la fin d'une époque. Mon costume de paresseux qui s'étiole. Bien dix ans que je l'avais. Il s'est usé leeentement... En rentrant, je me suis fait du thé, emmitouflé dans ma vieille couverture pleine de trous qui s'use grosso modo depuis autant d'années que moi qui suis aussi sans doute alors plein de trous, de plus en plus vastes et un jour ou l'autre il n'y aura plus que du trou, c'est ainsi, il faut s'y faire, être comme une couverture qui peu à peu se troue et les trous sont de plus en plus vastes, on passe au début un orteil à travers, puis un pied, un jour ou l'autre on passe tout entier à travers, c'est ainsi, il faut s'y faire, ai profité un peu du soleil, car chez moi il y a du soleil, quand la rue est dans l'ombre. Je suis vite rentré prendre le soleil, en somme. Puis le soleil s'est couché, derrière les toits et la ville entière alors s'est retrouvée dans l'ombre.
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