Je pense souvent à Lon Chaney, mort des suites d'un cancer des cordes vocales à l'avènement du cinéma parlant, en 1930. Quelle force inouïe se dégageait de lui... Dans l'inconnu, de Tod Browning, il se fait couper les bras, par amour pour une jolie fille de cirque qui ne supporte pas qu'on la serre dans ses bras. Dans the penalty, de Wallace Worsley, on lui coupe les jambes par erreur quand il est encore tout gamin. Naissance du Monstre. Du Mal. Ça tient à peu de choses. Une erreur de diagnostic. Un œdème au cerveau. A la fin, il ne retrouvera pas ses jambes comme il l'avait horriblement projeté, mais son âme. Le chirurgien, au lieu de lui greffer de nouvelles jambes, l'opère au cerveau. Le Mal incarné devient le Bien. Il perd du même coup sa virilité, sa force, lui qui était aussi une bête de sexe quand il était roi des bas-fonds, des ténèbres et peut-être aussi un artiste. C'est un film étrange à l'happy end grimaçant, ricanant et d'une tristesse infinie. On n'oubliera jamais Lon Chaney, marchant sur ses moignons, ses rictus haineux, sa brutalité absolue, puis cette douceur angélique... Le loup s'est transformé en agneau... Il devait souffrir, quand il jouait. C'était peut-être même son secret, la souffrance, ce qui lui donnait cette force. Ce n'était pas seulement son visage qui parlait et il n'était donc pas seulement l'homme aux mille visages, c'était son corps tout entier qui se tordait, hurlait, emplissant tout l'écran, pathétique, grandiose, effrayant. Le grand héros tragique du cinéma muet, c'était lui. Il était Le Monstre. Celui qu'on montrait, donc, comme au cirque, celui qui fascinait. Aujourd'hui, les monstres, on les cache... (Il serait temps que les studios hollywoodiens, notamment MGM, libèrent tous les trésors encore visibles nés de sa rencontre évidente avec Tod Browning.)
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