samedi 16 novembre 2013

Tant de laideur... Ça ne change pas... On se croit devenu enfin raffiné, planant dans les hauteurs, imperturbablement, royalement, aiglement, avec le sourire idiot du Bouddha, mais c'est toujours la même merde, le même blabla... toujours les mêmes conneries... C'est même peut-être encore pire en vieillissant... car en plus on devient moche... Non non... je n'ai rien appris... et rien ne m'a jamais servi de leçon... Cancre de la vie... Toujours au fond de la classe, près du radiateur et de la fenêtre, à penser à la fille du directeur, qui elle est toujours au premier rang, à sa petite culotte, vers les cabinets, qui n'était sans doute pas une cancre de la vie, elle, qui a dû réussir, elle, dans la vie... Comme elle était jolie... (Et vicieuse...) Toujours aussi con... Grande âme, mon cul... Toujours autant obsédé, seulement passé de jeune dégueulasse à vieux dégueulasse... Je ne suis bien finalement que dans mon lit... comme la mémé... Au moins il y fait chaud... j'y bande sans raison, juste d'aise, et les films souvent y sont bien... même si je serais bien incapable d'en raconter la moindre scène... Ils sont bien peut-être justement parce que je ne peux pas les raconter et qu'ils échappent à la laideur, donc, à ma laideur, à ma voix de fausset, qui n'a pas encore mué, qui ne muera même jamais, il faut se faire une raison, de cancre et à la fois premier de la classe, si ça se peut, c'est peut-être bien ça mon problème, d'ailleurs, on ne peut pas être les deux, et pourtant si... j'étais, je suis les deux... l'Alpha et l'Oméga de la Connerie... Grave et chaude, ma voix, elle m'avait dit... (Pas la fille du directeur, une autre, une autre fille de directeur, bien des années plus tard...) Elle n'avait pas l'oreille... Déraillante, ma voix, soudain, comme si les gonades n'étaient pas encore descendues... Pas de quoi être fier... Mais grave et chaude, j'aurais aimé, oui, faire vibrer la fille juste par les ondes, ça oui... quel pouvoir... agir sur les organes à distance... la tenir ainsi captive, mais consentante, ne demandant même que ça, ne pensant même qu'à ça, abandonnée, pantelante, gémissante, dans les bras puissants, poilus, odorants de ma voix, l'emplissant à l'unisson de l'organe magnifique, spectaculaire, à la chaleur vibrante, profonde de contrebasse de ma voix... Parle-moi... parle-moi... parle-moi... suppliait-elle, lascive, haletante, comme si je pouvais la faire jouir avec des mots... la pénétrer avec ma voix... c'en était presque indécent, comme ça, tellement impudique pour moi si délicat, même s'il n'y avait que nous, dans le salon de thé chinois façon pagode, au crépuscule, quelque part dans le ciel indigo la Croix du Sud que je n'ai jamais su voir... Quelques heures plus tard, ailleurs, montant d'un cran : domine-moi... viole-moi... Alors je fais semblant, jusqu'à un certain point... je descends dans les graves, dans mes cavernes... dans le bourdon hypnotique qui parfois d'ailleurs m'endort moi-même... jusqu'au moment où ça déraille... et je suis alors démasqué... j'en sursaute, comme moi-même libéré soudain de ma propre emprise... Immature... voilà... je suis... et là tout s'effondre... le château de cartes en Espagne... le mirage... je ne suis plus du tout l'homme qu'elle croyait... le beau mâle ténébreux monté comme un chêne ou bien marteau-pilon... tout juste un gland... un pauvre gland... fragile comme une brindille bientôt cassée par le vent... toujours petit garçon, renfermé, au fond de la classe, rêvassant, pas tant d'oiseaux et de nuages et fleurs sublimes que de la petite culotte à la fille du directeur, ce qu'il y avait dedans, comment elle sentait, le petit bateau ivre... et pourquoi elle ne m'a plus jamais regardé, après, moi qui voulais tellement l'emmener dans ma cabane, dans les bois, au bord de la rivière, même si je n'en avais pas, de cabane, mais j'en aurais arrangé une, juste pour elle... Et son père, là-haut, qui nous épiait...

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