mercredi 2 octobre 2013

Ah... le pépé... le Père Blanc... — Oui... — Il nous regarde... — Oui... il nous regarde... — Et nous aussi on le regarde... — Oui... — On se regarde... — Oui... — Il se battait avec le Diable... et toi on t'appelait le Beloup... le Routou... parfois aussi le Bestian... ou la Bête... — Oui, c'était ma mère, qui m'appelait comme ça, la Bête... quand j'ai grandi... Au début, je n'étais qu'un tout petit animal... — Et elle, quand elle était petite, on l'appelait la Rouge... — Oui... parce qu'elle était rousse... — Comme le Diable... — Oui, comme le Diable... — Et le Père Blanc, là-dedans, dans toutes ces diableries... — Oui, le Père Blanc, le pépé... — Le Cavalier Blanc de 2ème classe... 5ème Bataillon de Dragons portés... — Il avait de l'allure, à Lyon, en 1930... — N'a pas fait la Grande Guerre, comme le Ness... — Il était bien plus jeune que le Ness... Lui il n'a connu que la Débâcle... Renvoyé dans ses foyers, le 30 juillet 40... — Ses foyers?... — St Étienne, la mine... au charbon... — Mais il avait de l'allure, comme dragon, le Père Blanc... — Il n'était pas encore le Père Blanc... Juste le Cavalier Blanc... Dommage qu'on ne le voit pas en costume de dragon, comme Destouches... Dragon, ça en imposait... — Destouches, il était cuirassier, un dragon lourd... En 1930, ils n'avaient plus le même costume, j'imagine... Les dragons avaient péri dans les bourbiers de la Somme, de la Meuse, dans leurs costumes... — Dommage... Ça donnait envie de partir à la guerre, quand on les voyait défiler, tout rutilants, cliquetants, à la parade, sur leurs bêtes piaffantes, fumantes, aux yeux terribles... — Oui, comme Bardamu... — Les dragons, c'est bien fini, cette époque... N'est resté que le nom... Mais les dragons... où sont passés les dragons?... — Et le Père Blanc alors?... — Et le Père Blanc, alors... C'était une époque, aussi, le Père Blanc... Ça ne se dit plus tellement... Comment ça va Père Blanc?... En remontant du jardin, dans l'allée des cabinets, avec sa balle... — Il avait reçu une balle à la guerre?... Il boitait? Ou au cerveau? Il en avait des visions d'Apocalypse?... Avec des cavaliers?... — Non non... sa balle de légumes, sous son bras... — C'était un paysan... — Oui... — Il ne savait pas écrire... — Juste son nom, d'une écriture tremblée : Blanc... — En remontant du jardin, avec sa balle... et avec toi, à l'autre main, son Fillou... — Oui, avec moi, à l'autre main, son Fillou... — C'est compliqué, tes histoires de famille... Le Père Blanc... le Diable...  et le Fillou... On n'y comprend plus rien... Et la Rouge... — Oui... et la Rouge... — Le fils de la Rouge... — Exactement... — Tu ne l'appelais plus maman... mais Mammon... quand tu l'as tuée, dans la cuisine... — C'est vrai... — C'était une autre époque... — Oui, c'était une autre époque... — Et l'autre rousse, celle du sang, tu y penses?... Il faudra bien que tu te décides à aller la voir... — Je m'y prépare, doucement... — Tu as peur... — Oui... — En fait, tout ça, c'est parce que tu as peur... — Évidemment... Quel besoin, sinon, de se raconter des histoires?

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