Ah... John Wayne... Gail Russell... Le réveil de la sorcière rouge... Ça, c'était beau... — Oui... Sacrément... — Ceux qui méprisent John Wayne sont vraiment des cons... — Bien d'accord... — Les pires, ceux qui se proclament cinéphiles... — Les cinéphiles, de toutes façons, sont des cons... — Tous?... — La plupart... — Tu ne les aimes pas... — Sale engeance... Sérieux comme des papes... Ennuyeux à mourir... N'ont jamais compris que c'est du rêve, rien que du rêve, le cinéma... C'est comme la vie, de la fumée... Sinon ça ne vaut rien... Ils en tirent des idées, des conclusions, des minables petites fiches... N'ont jamais rien ressenti, ni rien vécu, ni même rien dit... Ce ne sont même pas leurs idées, en plus, la plupart du temps... Ces cons... Des charognards péteux... Ils veulent juste faire partie d'un club, d'un ciné-club... Ils prennent des airs inspirés... Moi je les mettrais tous dans une grande salle de cinéma et j'y foutrais le feu... — Comme au Bazar de la Charité... — Parfaitement... — Mais on s'en fout, des cinéphiles... — C'est vrai, on s'en fout... — John Wayne... Gail Russell... Le réveil de la sorcière rouge... Ça me rappelle toujours un peu reap the wild wind... — À moi aussi... Moissonne le vent sauvage... C'était sacrément beau, aussi... — C'était une autre époque... L'époque où on rêvait... Et puis l'Amour... — Oui, l'Amour... l'Aventure... les mers du Sud... — Je te sens tout chagrin, subitement... — Juste ça, m'a-t-elle dit, quand je l'ai serrée pour la dernière fois dans mes bras... — Et tu devais avoir alors la même gueule que John Wayne dans le réveil de la sorcière rouge... — Ça se pourrait bien... — C'était dans les mers du Sud aussi?... — Oui, parfaitement, dans les mers du Sud... — Il y avait un bateau aussi?... — Oui, il y avait un bateau, aussi... — Et elle avait la même gueule que Gail Russell dans le réveil de la sorcière rouge quand tu l'as serrée pour la dernière fois dans tes bras?... — J'en sais rien... Je me suis toujours demandé... Je me demande encore... Je me demanderai sans doute encore demain... — Elle était sacrément belle, Gail Russell... — Oui... Sacrément triste aussi... — L'Amour, ça rend triste... — Oui... Elle était malheureuse... John Wayne a bien essayé de la sauver, plusieurs fois... Angel and the badman, c'était sacrément beau ça aussi... Mais il n'a rien pu... contre la mélancolie... Elle s'était mise à boire beaucoup, Gail... Elle a dû aussi lui dire, à un moment : Juste ça... — C'est triste... Mais c'était un sacré bonhomme, ce John Wayne... On n'en fait plus, des comme ça... — C'est vrai... — Et pas que chez Ford... — Pas que chez Ford, non... — Et la sorcière rouge, alors, c'était Gail Russell?... Un peu façon Sorcière à l'Océan Dormant?... — Pas du tout, c'est le bateau, la Sorcière Rouge, un fier trois mâts... — Et alors?... — Et alors il le saborde... — Son bateau?... — Oui oui... Et pourtant il y tenait tellement... Sa maison, son univers, sa liberté, il dit, à un moment... C'était toute sa vie... Les cales étaient pleines d'or... — Mammon... Pour l'argent alors... Il est cupide... — Pas exactement... À cause de l'Amour surtout... Il devient alors un genre de tyran, un peu comme dans le loup des mers... Celui qui n'a jamais osé aimer, quand il se met enfin à oser, c'est avec une majuscule... — On ne devrait jamais mettre de majuscule... — Bien d'accord avec toi... — Il se fait crucifier, aussi, à un moment... — Oui oui... dans l'eau... avec tout autour des requins... — Et ils se rencontrent comment avec la fille?... — C'est la fille du gouverneur d'une île du Pacifique... Il l'entend jouer une nocturne de Chopin, il voit dans ses yeux, sa mélancolie, il plonge tout entier dans ses yeux... et vice versa... — Ça fait les meilleures amoureuses et les meilleurs amoureux, la mélancolie... — C'est vrai... Et les pires... Elle sera toujours pour lui une nocturne de Chopin... — Mais il y a son père... — Oui, son père... — Il ne veut pas d'un aventurier pour sa fille... — Non, il n'en veut pas... Il lui réserve un homme riche et puissant... — Il devient fou, alors... — Oui, de douleur... — L'épousera-t-elle, l'homme riche et puissant?... — Oui... — Il est comment?... — Toujours un peu le même, riche et puissant, tu vois bien, pas très intéressant, banal, plutôt laid, un notable sans la moindre fantaisie, mais riche et puissant, il lui fera même un lardon... Elle acceptera son destin, celui que lui a dicté son père, même s'il est mort... — Pas drôle... — Non, ça ne le fait pas rire du tout, John Wayne... Il faut dire que c'est lui, qui a tué le père, en légitime défense, mais quand même... — Alors, elle le maudit et épouse le notable... — Oui... mais elle ne peut pas le maudire complètement... — Il lui a quand même tué son père... — Oui, un vieux salaud, son père... mais elle l'aimait, comme une fille aime son père... — Et dans l'île alors?... — Dans l'île, il est le fils de Taro Tato, pour les indigènes, le fils des dieux, celui qui a défié la Pieuvre, dans la Grotte Sacrée... Ça se finit dans un grand nuage d'encre... — L'encre, toujours... — Oui... — Et ils se retrouvent, à la fin?... — Si on veut... Mais non, ils ne se retrouvent pas... Lui, il reste coincé dans l'épave de la Sorcière Rouge, qui l'entraîne dans l'Abîme... Un marin dit alors : Elle s'est vengée... — La fille?... — Non non... La Sorcière Rouge... — De quoi?... — Tu deviens pénible, avec tes questions... Elle s'est vengée... de tout... D'avoir été sabordée. D'avoir été délaissée. Qu'on l'ait sacrifiée à l'Amour, avec un grand A... Jalouse, comme une mère tyrannique, la liberté... Elle se réveille pour se venger, la Sorcière Rouge, pour l'emporter dans ses entrailles, dans le Néant... — Et elle?... La fille?... — Elle, elle était déjà morte depuis un bon moment, d'une maladie quelconque, j'ai oublié... — De mélancolie?... — Peut-être bien... — Et toi, ton bateau, tu l'avais sabordé, aussi?... — Évidemment... — Et la fille, c'était aussi la fille du gouverneur de l'île?... — En quelque sorte...
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