Ma lectrice est en vacances. Loin. Me voilà donc tout seul. Plus personne pour me lire... Je regarde le calendrier : elle sera encore absente trois semaines. Que vais-je bien pouvoir faire tout ce temps? Parce que moi je m'étais habitué, à avoir une lectrice. Au début, je l'ai chassée, et même plusieurs fois parce qu'elle revenait toujours. (En même temps, je la chassais aussi pour voir si elle reviendrait...) Parce que je n'en voulais pas, au début, je préférais me savoir seul. J'aimais l'idée qu'il n'y avait personne, que tout ça se perdait dans le Néant. Je me suis senti alors envahi, moi qui me croyais seul sur mon île. Puis, peu à peu je me suis habitué à sa présence. Elle est même devenue essentielle, ma lectrice. Et maintenant qu'elle est en vacances, elle me manque, même si ce n'est que pour trois semaines. Je ne sais toujours pas ce qu'elle me trouve. Il y a tellement de choses bien à lire et il a fallu qu'elle jette son dévolu sur ça, ces vagues rots. C'est un mystère, pour moi. L'été dernier aussi, elle était partie en vacances, mais elle était restée connectée, comme on dit aujourd'hui. Cette année, elle a voulu des vraies vacances. Je comprends. N'empêche que moi, je n'ai plus rien à dire, maintenant que je n'ai plus de lectrice. Quand je n'avais pas de lectrice, je m'en fichais, je n'avais pas besoin d'avoir quelque chose à dire. J'étais peinard, sur mon île, je sifflotais quand j'avais envie de siffloter et peu m'importait d'être dans le ton et parfois même je me mettais à gueuler voire lâchais un vent monstrueux qui faisait s'envoler d'un coup tous les oiseaux et se figer le sang des bêtes. Mais maintenant que j'ai une lectrice, tout est bien différent, je suis devenu quand même beaucoup plus délicat. Et comme elle est en vacances, moi, je me retrouve tout seul comme autrefois quand je n'avais pas de lectrice et que d'ailleurs je n'en voulais surtout pas. C'est comme une séparation alors. Tout est tellement vide, soudain. Trois semaines, ça fait long. Si c'est comme ça, je vais peut-être bien redevenir sauvage, me laisser pousser la barbe et les ongles, plus me laver. Et puis peut-être aussi me mettre à dérailler vraiment, maintenant que plus personne ne regarde. Elle verra bien, quand elle rentrera... Peut-être même que je la rechasserai, comme autrefois... Allez tirez-vous... vous m'emmerdez à être toujours là à lire par dessus mon épaule... et puis tellement gentille, généreuse... ça m'énerve, les filles gentilles... (je préfère les salopes...) Parce que je me serai réhabitué à ne plus en avoir, de lectrice... Trois semaines, ça fait long... (Jusque là, elle n'a jamais été absente plus de deux jours...) Ou alors peut-être qu'une autre va prendre la place... Ah... désolé... fallait pas partir en vacances... la place n'est pas restée vacante longtemps vous voyez... Qu'est-ce que vous croyez? Qu'un type comme moi, aussi flamboyant, peut rester tout ce temps sans lectrice?... Vous êtes bien naïve décidément... Et j'en prends, moi, des vacances?... Dire que je vous ai eue comme lectrice pendant tout ce temps... On n'avait pas les mêmes goûts, de toutes façons... Alors évidemment, s'il y a des candidates, qu'elles m'envoient leur cv, avec photos, mensurations, motivations et tout, je ferai un casting, ça m'occupera... (Il ne peut y en avoir qu'une...) Ça lui apprendra, à partir en vacances...
1 commentaire:
Dire que c'est à l'ouverture du testament que j'apprends que je lui ai manqué cet été... De son vivant, c'était quand même un peu un handicapé des sentiments, M.Mouchette...
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