Une mystérieuse inconnue venait me voir. Ma lectrice. Une seule lectrice, ça a toujours été mon idéal. Pas toutes. (Qu'en ferais-je?) Juste une. A une époque, je n'écrivais que pour une seule lectrice. Je la soignais. Je la gâtais bien. Même si elle s'en foutait peut-être bien. Même si elle n'était pas vraiment ma lectrice, peut-être, je me dis, car pour être lectrice faut-il déjà aimer lire et même savoir lire. Je lui avais consacré rien moins que toute ma vie. Mais elle s'en foutait, je crois. Elle ne lisait peut-être même pas. Elle ne s'intéressait qu'au poids, aux dimensions de la chose. Ça la flattait, qu'on puisse être aussi gros et tendu juste pour elle. Dans sa main, c'était bien lourd, bien chaud, bien palpitant, c'est tout. J'étais son (petit) cheval blanc... Quoi d'autre?... Et là, une éternité plus tard, dans ce désert cybernétique, une inconnue est tombée par hasard chez moi et est restée un moment, est même revenue souvent, quotidiennement. On s'est même mis au bout d'un certain temps à dialoguer, ailleurs, en privé. On se connait un peu, maintenant. Elle est allée se promener un peu partout, même les recoins elle les a visités. J'ai du mal alors à revenir chez moi, en public, tellement je la sens qui m'observe, qui me guette, ma lectrice qui est partout, même si elle est peut-être bien mon seul vrai public. Car elle, c'est vraiment une lectrice. Elle n'est plus tout à fait inconnue. Plus vraiment mystérieuse. J'ose à peine, depuis, poser un pied chez moi. Comme si elle s'était installée et qu'elle me regardait faire tout ce que je fais chez moi, même les petites choses très intimes. Je me sens observé. Comme ce n'est pas très grand chez moi, je n'ai pas vraiment d'endroits où me cacher de ses regards, pour être tranquille. Elle a exploré et connaît tous les recoins, même les cachés. Quand je vais aux toilettes, elle est là, assise, à côté. Il faut que je m'habitue. Ce n'est pas évident. Au début, je l'ai chassée, et même plusieurs fois. Mais je ne pourrais plus, maintenant qu'on se connait un peu. Et puis j'aime bien la savoir là, ma lectrice, pas n'importe qui, ma lectrice. Elle est douce, émotive, fine, bienveillante... Peut-être aurais-je préféré une chienne?... Je me dis qu'il serait peut-être temps de changer, ne plus écrire pour une seule lectrice qui serait même ma lectrice, mais pour plusieurs, deux pour commencer, puis peut-être trois... dix... Pas trop non plus... Ce n'est pas très grand chez moi... Je ne saurais plus où les caser...
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