Il se lève, se rassoit, se relève bientôt, pour bientôt se rasseoir, peut-être cinq fois par minute et pendant peut-être un quart d'heure, environ donc soixante quinze fois. Il était déjà là quand j'ai ouvert la grille. Peut-être a-t-il passé la nuit ici, contre la grille, un peu à l'abri de la pluie, pas complètement : le bas de son pantalon et ses chaussures sont mouillés. Chef, je peux laisser mes affaires dans un coin? il me demande les yeux baissés d'une voix se voulant assurée. — Oui... Et maintenant il se lève, se rassoit, sans arrêt, je me dis au début qu'il a peut-être mal au coccyx, ou aux genoux. Il pleut. L'air est humide. Froid. Puis je me dis que c'est plus fort que lui, comme un toc. Il se lève, il est sur le point de partir, il sait peut-être même à ce instant-là où il va. Mais, une fois debout, il ne sait plus. Alors il se rassoit. Peut-être a-t-il su, à une époque, où il allait, quand il se levait. Mais maintenant il ne sait plus. Maintenant, il est coincé là, devant ce cinéma fantôme. De temps en temps, je viens fumer ma cigarette au bord du trottoir. Je suis debout. Il est assis, a arrêté de se lever et se rasseoir sans arrêt. On est côte à côte. On ne se dit rien. Immobiles, on regarde droit devant. À un moment, il sort un téléphone de sa poche, le plaque contre son oreille. Sans doute la batterie est-elle à plat. Il attend. Il avait un rendez-vous. Il attend, avec tous ses sacs. Personne ne vient. Plusieurs fois, peut-être dix fois, il sort de sa poche son téléphone et le plaque contre son oreille. Peut-être qu'à cet instant, quand il plaque son téléphone contre son oreille, il y croit, que son téléphone fonctionne, qu'il a un rendez-vous, qu'on va venir le chercher, le sortir de là, de l'entrée de ce cinéma crasseux, de cet après-midi de chien, parce qu'il a besoin d'y croire, au moins un instant, répété à l'infini, parce qu'autrement il n'y a plus rien. Son téléphone le rassure, à cet instant, même s'il n'a plus aucune fonction réelle, c'est son lien avec cet autre monde, un monde tolérable. Ou bien alors il s'est trompé de jour... Il cogite. C'était hier, son rendez-vous? Ou bien demain... L'année dernière?... Dans dix ans?... Il a arrêté de sortir son téléphone de sa poche, comme il avait arrêté de se lever et de se rasseoir sans arrêt. Levant le nez de mon livre, je vois parfois un passant s'arrêter et se baisser à sa hauteur. Il a posé sa casquette sur le trottoir mouillé. En deux heures, il a dû récolter un euro ou deux en piécettes. Plus tard, levant une fois de plus le nez de mon livre, il n'est plus là.
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