Il pleut. Souvent, quand il pleut, un mendiant vient poser son sac et s'asseoir devant le cinéma, sa casquette par terre entre ses pieds. Toujours à la même place. De dos, on pourrait croire que c'est toujours le même mendiant. De temps en temps, je viens fumer une cigarette au bord du trottoir, humer l'air pollué de la rue. Il est assis. Je suis debout. Immobiles, on regarde dans la même direction : droit devant. Survient bientôt un nain. Au début, je crois que c'est un enfant, un enfant de neuf ou dix ans, pas très grand pour son âge, avec une casquette à longue visière, bleu marine. Mais c'est un nain. Il est venu s'abriter de la pluie. On est maintenant tous les trois alignés au bord du trottoir, le mendiant, moi, le nain. Qui me demande bientôt du feu. Je me rends compte alors qu'il n'a pas du tout une tête de nain, pas du tout disproportionnée, pas du tout les traits d'un nain, plutôt ceux d'un homme, d'un homme miniature, le teint basané. Son corps d'ailleurs non plus n'est pas le corps d'un nain, n'en avait d'ailleurs pas la démarche et c'est pourquoi j'avais d'abord cru voir un enfant. Le corps d'un homme miniature, m'arrivant au bas des côtes. Un lilliputien, alors, plutôt. Pas du tout difforme. On fume, silencieusement. Parfois, on se sourit. Ses dents de devant sont pourries. J'ai remarqué aussitôt que son regard était vif, pénétrant, que la flamme de l'ironie et une certaine tendresse y couvaient. Une sympathie étrange et spontanée nous lie. À un moment, il me demande si je connais du monde dans le cinéma. Il a un accent indéfinissable, léger, peut-être espagnol, ou portugais, ou d'ailleurs. Je lui réponds qu'il n'y a que moi, dans ce cinéma. Ça le fait sourire. On se comprend. Parce qu'il est scénariste, me dit-il. Je lui dis que je ne suis que projectionniste, ou caissier, selon les jours, que je ne connais donc personne, dans le cinéma, qu'il lui faudrait plutôt trouver un producteur. Il me raconte qu'il a écrit cinq sketches, pour le moment. — Plutôt de la comédie, alors? — Oui, plutôt de la comédie, confirme-t-il dans un large sourire de ses dents toutes cariées, ce serait vous voyez une sorte de critique de la finance mondiale... tout en pastichant Proust... — Tout en pastichant qui?... — Proust, vous savez, le grand écrivain… — Ah... Proust... — Oui... Et je suis sûr que ça marcherait... — Je vous le souhaite... — On finira bien par être riches, nous aussi... La roue tourne... Elle ne fait que tourner... Aujourd'hui sans le sou... et demain... — Milliardaires!... clos-je sa phrase et on se met alors à rire de bon cœur, sachant lui comme moi que ni l'un ni l'autre ne souhaite vraiment devenir riche ni sans doute ne le sera un jour... À ce moment, le mendiant m'interpelle. Je ne le comprends pas. Il parle une autre langue. — Un voyageur d'Europe centrale, me glisse tout bas et avec un certain respect mon compagnon le nain. — Le mendiant a sorti un téléphone de sa poche. Je finis par comprendre qu'il aimerait que j'en recharge la batterie. Il s'incline au moins dix fois pour me remercier quand je m'en vais avec son téléphone et son cordon pour le recharger à l'intérieur. Je le branche. La batterie était vraiment à plat. Il pleut toujours. Il y a Blossom Dearie à la radio. J'ai repris mon poste, assis derrière la vitre, paisible, avec mon livre, le plan fixe de la rue, lisant, observant, rêvassant. Je vois le nain un moment regarder les affiches. Puis il s'en va. Avant de disparaître se retourne pour m'adresser un grand sourire et un salut de la main. Un nain de très bonne compagnie...
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