Je suis gras. Ça ne se voit pas, comme ça, de l'extérieur. C'est à l'intérieur que je suis gras. Tout gras. De l'extérieur, je suis encore svelte. Mais à l'intérieur alors... À la rigueur il vaudrait mieux que ça se voit, que je sois gras de l'extérieur, mais qu'à l'intérieur je sois svelte. Tous mes efforts pour être moins gras à l'intérieur m'ont en fait rendu encore plus gras. Avant, j'étais juste un peu trop gras. Maintenant, je suis carrément trop gras. C'est dans le sang. Il y a des yeux, dans mon sang, comme dans la soupe, j'imagine. Le fait d'y avoir pensé trop peut-être aussi, d'être devenu même un obsédé du gras, du Bon contre le Mauvais, un illuminé, un intégriste, croisé de l'Ordre de la Sardine... Sus au cochon!... J'ai voulu être le premier de la classe de sang, un truc comme ça... Du coup, j'ai eu l'impression de redoubler, quand la créature du labo sanguin m'a rendu ma copie... Je n'avais jamais redoublé, avant... C'est humiliant... Surtout quand vous avez bossé dur pour y arriver... Toutes ces sardines, quand même... S'il avait fallu, je me les serais injectées, les sardines, ou alors même vivantes, frétillantes, façon suppositoires, qui allaient à coup sûr me nettoyer tout ça... Macache... Trop de sardines noient la sardine, peut-être, ce que j'ai dit à mon médecin, tout à l'heure, en fumant une clope sur le trottoir après l'aïkido... Je suis une fabrique de gras... Ça va me boucher les artères... je vais faire un infarctus, comme papa, ou même pire une attaque cérébrale, comme pépé... À moins que le cancer m'attrape avant... Le gras, ça se transmet, de père en fils... Cholestérol & Son... J'en avais beaucoup moins il n'y a même pas un an en bouffant des saucissons gros comme mon bras et des tartines de beurre larges comme ma cuisse... c'est quand même intriguant... Je ne vais plus rien bouffer, autrement... puisque je transforme tout en gras, je vais me laisser sécher, virer fakir... Ça m'a fichu un coup, au début, moi tellement confiant, tellement content de moi... Ça m'a rappelé le bac blanc, quand le prof d'histoire géo avait rendu les copies... J'avais fait un truc pas trop mal et même bien il me semblait, lyrique... Alors le prof, il s'était mis à lire des morceaux d'une copie dans laquelle la France était le premier producteur de pétrole de l'OPEP et des tas d'autres conneries... Tout le monde rigolait, moi y compris... Quel abruti quand même, quel ignorant... Je devais même rire plus fort que les autres... Le prof, lui, il n'avait jamais de sa vie lu un truc pareil, il n'en revenait pas, ça ne valait pas zéro, s'il avait pu il aurait mis moins quelque chose, c'était pour ainsi dire hors barèmes, il était même en colère, qu'un de ses élèves soit aussi con, que son enseignement ait mené à ça... Sauf que l'abruti, c'était moi... Moi?... Non... quand même pas... Au cours de sa lecture, j'avais quand même progressivement moins ri, certaines phrases m'ayant semblé parfois familières, le soupçon ayant peu à peu fait son nid... Je me souviens de ma déconfiture... De m'être senti ensuite comme un paria, bien en deçà du cancre, loin, tellement loin de toute catégorie... (J'ai revécu cette expérience, plus tard, en fac, mais dans l'autre sens, le prof lisant la seule copie potable dans un amphi comble, le prof en colère aussi d'avoir des étudiants si mauvais, à part un qui était vraiment bon. Sa copie était même parfaite. Et il savait écrire. J'avais mis du temps là aussi à me reconnaître. Le soupçon, peu à peu, s'était installé. Moi?... Non... quand même pas... Après, je m'étais senti comme un paria, aussi, au delà de toute catégorie... J'étais soudain pour les autres devenu un type très bizarre... Un gouffre entre eux et moi...) L'OPEP, pour la géo... Et pour l'histoire, dans la foulée, j'avais fait l'apologie du Maréchal Pétain... moi... parfaitement... sans même m'en rendre compte... Je devais avoir la tête ailleurs... Sauf que j'avais eu l'impression d'avoir fait un truc bien, de m'être concentré, d'avoir disserté finement et même avec enthousiasme, de m'être parfois même envolé... Mais là, je suis trop gras... j'en fais trop... même ici j'en fais trop... j'ai l'impression qu'il y a des yeux de gras dans mes phrases... que partout il y a des yeux dans cette soupe... Et t'as pensé à arrêter la cigarette?... Ah... mais c'est tellement bon, fumer... Et puis je ne transforme quand même pas la fumée en gras!... Je serais un drôle d'alchimiste alors... Alors, j'ai décidé de m'en foutre, au moins un peu... Si, en bouffant du saucisson et du beurre, j'étais moins gras, alors... Si, en buvant plus de vin rouge, j'étais moins gras... Vasodilatateur, en plus, le rouge... Plus on a le sang gras, plus on devrait boire du vin rouge, pour élargir les tuyaux, non?... Mon régime hyper-sardiné n'était peut-être pas le plus adapté... J'ai du sang de paysan moi, pas du sang de marin... Je me sentais gras, effectivement, avec toutes ces sardines, tout huileux et ma sueur commençait à sentir un peu le poisson... Le premier producteur de pétrole de l'OPEP... C'est du bon gras! qu'on me disait, tu peux y aller!... Mon œil, moi je dis, bon gras, mauvais gras, c'est de la morale de curé... Le gras, c'est du gras, un point c'est tout... Le bon a vite fait de devenir mauvais et vice et versa...
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