L'olivier a fait une feuille, dans un creux. Je l'ai regardée longtemps. Si tendre, la petite feuille, si verte, dans ce tronc tout noueux, sec, torturé comme un bonzaï géant. Si frêle et gracieuse et innocente et insouciante, la petite feuille. Je me suis dit que je viendrais la voir souvent. Survivra-t-elle dans ce monde désolé? (En effet, précisons, elle est toujours à l'abri du soleil.) Croîtra-t-elle? Deviendra-t-elle branche? Elle a poussé dans l'ombre, au bord de ce genre de trou du cul de l'olivier. Pourquoi ici et pas ailleurs? Je me suis perdu longtemps dans mes pensées. J'en suis venu à considérer la feuille indépendamment de l'olivier, comme un corps étranger, un genre de parasite. Et pourtant, c'est toujours l'olivier. Il est tellement sec et noueux qu'on a du mal à l'imaginer produire une si tendre et délicate petite feuille, dans l'ombre en plus, comme en secret. Il faut le voir, le pauvre olivier de ville, planté dans un grand bac carré de planches, sur une place, en bordure d'une terrasse de café, se tordant de douleur en silence, immobile. Ses racines doivent être bien à l'étroit, là dedans, comme les pieds des petites Chinoises, à une époque, qu'on bandait très serrés à en casser les os. La première fois que je l'ai vu, l'olivier, j'en ai ressenti une grande tristesse, de le voir ainsi enfermé dans son enclos de planches. J'ai caressé son tronc rugueux comme le cou d'un vieux très vieux cheval. J'avais même envisagé une opération nocturne, héroïque, pour le libérer. Mais je n'ai rien d'un héros. Juste le type qui prend son café à côté de l'olivier. Et une petite feuille a poussé, tendre, dans l'ombre, en secret. Et je l'ai regardée longtemps. Et je me suis dit que je reviendrais la voir souvent.
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