lundi 7 mai 2012

Il l'aimait bien, celui-là, Bergman... – Celui-là quoi?… – Ce plan-là... – Oui, c'est vrai qu'il l'a fait plein de fois... – Là, on se dit, ça ne peut être qu'un film de Bergman… – C'est vrai… Ce serait pas... l'attente des femmes?… – On dirait que tu les as tous vus, que tu les connais même tous... Tu te souviens de tout?... Moi, je ne me souviens de rien précisément... Ça pourrait être n'importe quel film de Bergman... – Tout ce que j'ai vu et même vécu, même d'un seul œil et même du coin, en pensant à autre chose, est quelque part dans ma mémoire... Il suffit de bien ranger, après, de mettre des étiquettes sur les tiroirs et de ranger dans les tiroirs et ensuite il n'y a plus qu'à ouvrir les tiroirs pour retrouver ce qu'on a mis dedans... Un mur de tiroirs... Même ce que je n'étais pas conscient de voir est quelque part dedans... Tout... Un chien qui pissait contre un mur un certain jour, une mouette qui a crié, tout... – Un mur... Grand comment?... – Ça dépend des mémoires... de la taille des tiroirs et de leur nombre... – Et elles attendent quoi, là, les femmes?... – Rien... Leurs maris... – C'est rien, les maris?... – Pour ainsi dire... Pas complètement non plus... Alors elles se mettent à causer, en attendant... – Il préférait les femmes, Bergman... Elles sont quand même bien plus fines... – Oui... Les hommes sont lourds, le plus souvent, les maris encore plus que les autres, ils sont dans leur rôle... Ils courent après les jeunettes quand ils sont vieux alors que finalement ce qu'ils recherchent c'est une maman... Des petits garçons perdus... S'ils étaient moins dans leur rôle, ils seraient peut-être moins lourds... – Et les femmes, elles ne sont pas lourdes?... – Ben non... pas chez Bergman en tout cas... Parce qu'elles savent... Et puis elles ont tout leur temps, les femmes, en attendant leurs maris... Elles ont moins besoin aussi d'être quelqu'un, on dirait, socialement, chez Bergman en tout cas, et elles ont donc plus le temps d'être elles-mêmes, de s'ennuyer et de ressentir les choses finement, d'être déçues... Elles souffrent plus, alors... quand l'homme se dilue dans son rôle, peut même s'y oublier... Il est quelqu'un, ou il n'est personne... C'est binaire, comme en informatique, un ou zéro... D'ailleurs, souvent, ceux qui ne sont personne sont bien plus intéressants que ceux qui sont quelqu'un, sauf que la plupart du temps ils n'en savent rien car ils souffrent tellement de ne pas être quelqu'un qu'ils ne voient même pas la richesse infinie, le grand avantage de n'être personne... On croit souvent, à tort, le contraire... Mais quel ennui, tous ces quelqu'uns, tous ces maris... Pas étonnant que les femmes aient besoin de les tromper... – Les femmes, aussi, parfois, sont ennuyeuses, quand elles sont trop actives, trop dans leur rôle, le truc social... – Oui... C'est une fuite… La peur de n'être personne... du vide... Celles qui veulent faire comme les hommes... Fuyant le vide, elles sombrent alors dans le Néant... – N'empêche que c'est ceux-là que les femmes épousent, ceux qui sont quelqu'un, pas ceux qui ne sont personne... Tu dis qu'elles savent, les femmes... Mais en fait elles savent que dalle... – Si si... elles savent... – Alors pourquoi épousent-elles ceux qui sont quelqu'un et non pas ceux qui ne sont personne?... – Par perversité... Elles font des compromis, tout en sachant qu'elles en souffriront... Pour le confort, aussi... Elles n'épousent pas seulement un homme, mais une situation... Là, en fait, la femme, elle est avec ses copines et elle raconte le jour où elle a trompé son mari, dans un sauna sur pilotis, avec un gros poisson qui nageait dans l'eau en dessous qui l'effrayait un peu, au début, elle racontait au type des choses très intimes, très douloureuses et le type lui ne pensait qu'à une chose : être le gros poisson... – En même temps, on le comprend... – Ben oui, on est des hommes, même si nous on n'est personne ça ne nous empêche pas de bander... Car en fait, c'est ça le truc, c'est bander, il n'y a même que ça, être le gros poisson dans l'eau, dessous... – C'est vrai que ça fait toujours bien bander, les films de Bergman... – Parce qu'il devait bander beaucoup, Bergman... Sinon il n'aurait jamais filmé toutes ces femmes sensuelles en plans si serrés... Tu as vu comment il vient, le plan serré, souvent?... C'est tout calme, distant... et d'un coup, sans rupture, la caméra vient tout contre... C'est pour ça aussi que c'est souvent le même plan, qui revient de la même façon, dans les films de Bergman, il n'y a pas trente six mille façons de bander... – C'est quand même bon... les films de Bergman... Moi j'ai toujours un peu l'impression de voir le même film et je viens un peu toujours pour la même raison... – Un peu comme un film porno, mais en vachement mieux... – Au moins, là, on bande... – Et comment... On bande même entièrement... Comme un gros poisson dans un sauna sur pilotis... – La femme serait donc un sauna sur pilotis...

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