Elle avait de beaux yeux, Norma Shearer. Parfois, elle en faisait un peu des tonnes, avec ses yeux, mais c'est aussi ce qui était bien. Elle a continué quelques années au début du parlant à faire ce qu'elle faisait à l'époque du muet, avec ses yeux. Parce que les yeux parlaient. Alors on éclairait les yeux. On regardait ses yeux. Et puis ses seins, aussi, on regardait ses seins, qui tressautaient librement sous l'étoffe soyeuse de ses robes légères du début des années 30, avant le code Hays... Mais les yeux, oui, ils étaient sacrément beaux, cette dissymétrie... Norma Shearer, on ne voyait que les yeux... Elle avait une belle ligne aussi, le maintien aristocratique, et puis les seins aussi, qu'on sentait libres sous l'étoffe... mais les yeux... Le cinéma s'était mis à parler et elle continuait à faire parler ses yeux comme avant... Et puis elle riait aussi... On aurait préféré qu'elle se taise, même si son rire n'était pas déplaisant, car il y avait quelque chose qui ne collait pas, dans son rire et même dans sa voix... Ça nous distrayait de l'essentiel, de ses yeux... Là, dans a free soul, Clarence Brown a l'intelligence de lui masquer la bouche pendant qu'elle parle, parce que le miroir de l'âme, c'est les yeux, pas la bouche, c'est dans les yeux qu'il faut aller... Il faut dire qu'il savait y faire, Clarence, lui qui avait si bien filmé Greta Garbo... Ce besoin de parler, soudain, et même cette obligation, c'est bien triste quand même... Pour dire quoi?... Tout ce bavardage, alors que les yeux suffisaient amplement, et les seins... Du coup, ses regards, à la Norma, avec le parlant, se sont mis parfois à sonner un peu faux, comme si elle surjouait... Alors qu'elle jouait exactement comme avant, qu'elle parlait avec ses yeux... Et là, lui masquer la bouche pendant qu'elle parle, c'est redonner du pouvoir à ses yeux, c'est ressusciter le temps d'un plan le cinéma muet et même le cinéma tout court... De quoi être sacrément nostalgique... Là, tout redevient juste...
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