jeudi 17 novembre 2011

Je ne sais pas où je vais. Mais je sais d'où je viens. Je me souviens du jour où mon grand-père est mort. Je revenais à mobylette de l'usine où je travaillais l'été pour gagner deux trois sous. C'était en juillet, à midi et quelques, j'avais donc fait quatre heures midi dans une usine de plastique où il faisait entre 40 et 50°c. Ma mère m'attendait dans la cour. Le pépé, ça y est... Bon, j'ai dit... Puis je suis allé pleurer un peu dans ma chambre. Juste un peu car en même temps ce n'était pas une si mauvaise nouvelle car il croupissait depuis des années dans un hospice sordide en Haute-Loire, c'était même à Riotord. Ça fait peur, Riotord. Le terminus. Rio, mais... tord... Si tu vas... à Riotord... On va à Riotord, on disait, quand on allait le voir, pas souvent. Il faisait froid, il y avait du brouillard, tout était moche et sentait mauvais. On l'avait mis là-bas, dans ce trou. Il était mineur de fond, avant, il s'y connaissait donc bien en trous, il était habitué. J'avais honte de l'avoir laissé là-bas, même s'il avait une chambre individuelle, car on avait visité bien pire, je me souviens d'un grand dortoir d'une trentaine de lits en fer, les murs tout jaunes et lézardés, des vieux en chemise de nuit le cul à l'air ça sentait l'urine et le caca et le hachis parmentier, un brouhaha de plaintes, de râles, de quintes de toux grasse, de vols de grosses mouches mordorées, déchiré parfois par un cri, on n'imagine pas ce genre d'endroit, il faut y entrer pour le croire. Lui, quand même, il avait sa chambre, on disait, individuelle, on avait tout bien fait comme il fallait, dignement, avec les moyens qu'on avait, n'empêche que j'avais honte à me cacher à étouffer même en dedans. Alors, quand il est mort, ce n'était pas si triste. Le pépé est mort. Comme il me manque encore, même si ça fait plus de vingt ans. C'était un farouche le pépé. Un gentil, mais farouche. Une fois, à Riotord, il a fait une attaque, a été alors hospitalisé à Saint-Etienne, à Bellevue. C'est la seule fois en peut-être dix ans qu'il est revenu dans sa ville. Alors, en pyjama, après avoir fauché un couteau en cuisines, la seule fois peut-être de sa vie où il a volé quelque chose, il est remonté hémiplégique à la maison, chez la mémé, au moins deux kilomètres à pieds avec une montée bien raide, se traînant, se tenant aux murs son couteau dans le poing pour lui faire son affaire à la mémé, même si finalement ça ne s'est pas fait car ils l'ont rattrapé juste avant, à la porte, ils je ne sais pas qui, des infirmiers peut-être, ou alors les gendarmes... Il s'était senti trahi, profondément, abandonné comme un chien, il faut se mettre à sa place, on l'avait envoyé à Riotord... Lui, ce qu'il voulait, ce n'était pas grand chose, avoir la paix, son bout de jardin, son caporal bleu, deux trois copains... On me disait, quand j'étais gamin, que j'étais mon grand-père tout craché. C'était vrai. On s'entendait tellement bien, sans rien dire. C'était mon seul modèle. Ça l'est toujours.

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