Mahanagar (la grande ville). Une épure, tout juste sublime. Splendeur du cinéma de Satyajit Ray. Cinéma de l'émotion, sans effets parasites. Dès qu'apparaît Madhabi Mukherjee (qui était aussi Charulata), je suis au bord des larmes, au bord même d'un genre d'orgasme lacrymal, contenu. Ce n'est pourtant pas un mélodrame. Comme chez Bergman, les actrices, chez Satyajit Ray, sont sublimes. Ça fait tellement du bien, de voir ou revoir un film de Satyajit Ray. Ça nettoie de tout ce qui nous a pollués, en terme de cinéma au moins. Tous ces effets qui nous ont assaillis, salis, qui ont taché nos visions et peut-être nos âmes et tout cela pour rien, l'effet pour l'effet. Dans Mahanagar, les seuls et très rares effets, cinématographiquement parlant, sont invisibles, à moins de les chercher, ici un très léger faux-raccord, là une très subtile contre-plongée... On réapprend la distance, aussi. La distance n'empêche pas l'émotion. Ni la violence. Ni la passion. Ni quoi que ce soit. C'est même la clé, la distance. Le mawaï, on dit, dans les arts martiaux japonais. (On casse le mawaï pour tuer, au sabre, ce n'est pas rien...) Le problème du cinéma actuel, c'est que peu de cinéastes ont cette conscience du mawaï, de la distance. Ils tuent alors l'émotion en croyant l'avoir suscitée, même si ce que je dis là est sans doute déjà trop flatteur pour la plupart d'entre eux, qui ne se soucient évidemment pas de susciter de l'émotion, mais juste de produire des effets. Des effets pourquoi? Juste pour des effets. Une sorte de nihilisme bariolé et virevoltant, une excitation scopique, c'est tout... Comme elle est belle, Madhabi Mukherjee, simplement belle. Le moindre de ses sourires me met au bord d'une sorte d'orgasme, je disais, lacrymal, retenu. Bergman dévorait ses actrices dans des gros plans finalement très sexuels, pornographiques j'ai pu même dire à une époque. Ray les contemple, à distance. Il sait se rapprocher aussi. Que ce soit chez l'un ou chez l'autre, elle donne tout, l'actrice, s'abandonne totalement, sans effets, nue, elle est tout, une source vive d'émotion pure, de désir absolu. La caméra de Bergman s'approche, comme un papillon de nuit attiré par l'ampoule et vient buter contre une sorte de mur invisible, une limite. Celle de Ray reste souvent à distance. Les deux ont une conscience aiguë du mawaï... Pour les deux, les visages sont des paysages... Bergman voulait pénétrer ce paysage... Il bandait fort, Bergman, en permanence... Ray le contemplait, à distance, le paysage, de ses grands yeux sombres de Bengali... Et l'histoire?... Mais on n'en a rien à foutre de l'histoire, ce n'est pas le plus important l'histoire, même si elle est drôlement bien, cette histoire... L'histoire, finalement, c'est toujours la même histoire et on a évidemment un grand... grand plaisir à l'entendre de nouveau, à la voir de nouveau s'animer sous nos yeux, pleine de joies et de peines... C'est l'émotion, la grâce, qui comptent, et puis le style évidemment... la petite musique, disait Céline... et cette petite musique on ne sait jamais d'où elle vient... Ce n'est pas une juxtaposition d'effets, pas une grammaire précise qu'on apprendrait à l'école ou en copiant ceux qui en seraient dotés... On ne parle pas ici d'effets de style... mais de style... On ne sait pas trop ce que c'est... On sait juste que c'est rare... Soudain, ça se met à vivre, à vibrer, ça nous emplit alors entièrement, on ne sait pas trop pourquoi, ni comment... Il n'y a pas de méthode, pas de recette, sinon tout le monde aurait du style et on ne distinguerait donc plus le style du simple effet de style, le sublime du vulgaire...
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