À peine apparu, il est déjà temps de disparaître. Tu vois? Ce matin, j'ai remarqué qu'il me manquait une partie du visage. Je n'en ai pas été ému beaucoup. Il faut dire que je m'y attendais quand même un peu. Comme si c'était programmé. (Mais oui, c'est certain, c'est programmé.) Je savais. Il n'y a même que ça que je sais : Tout ce qui apparaît est destiné à disparaître. Et donc moi aussi, qui suis apparu, je vais disparaître. Ça commence par des petites choses. Dans la nuit, vous perdez quelques dents. Le matin, il vous manque aussi un œil et vous remarquez même que toute une partie de votre visage s'est effacée et votre petit doigt vous dit alors que ça ne va pas s'arrêter là, que cette espèce de gangrène va continuer de s'étendre et même jusqu'à complète dissolution du sujet. Le sujet, c'est à dire moi. En attendant, je suis encore un peu là. Mais à peine. Si peu. De moins en moins on dirait. J'ai pu à une époque me révolter, refuser cette inéluctable perte, gesticulant et bataillant pour rattraper au vol tous mes morceaux, pour me les recoller dessus, devenant bientôt ce grotesque patchwork de souvenirs, d'émotions perdues, d'images recomposées, de personnages eux-mêmes gauchis... Mais rien n'est vrai... Rien non plus n'est faux... Jusqu'au jour où une certaine lassitude vous prend et vous cessez de courir après vos morceaux qui s'en vont... Qu'ils s'en aillent... Que tout disparaisse... Que moi-même je disparaisse... Quelle importance... Je n'ai pas le souci de l'héritage, de ce que je laisserai de moi... Ou plutôt je ne l'ai plus... Car j'ai dû l'avoir, à une époque, organisant mentalement mon œuvre forcément posthume, n'y voyant bientôt qu'un immense et illisible foutoir... Il aurait fallu que je reprenne tout, que je corrige tout, et pendant ce temps le foutoir grossissait... grossissait... de plus en plus indigeste, ingérable, décourageant... Il n'y a rien à sauver...
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