Tu vois? Je suis passé par là, un jour. Je pourrais même te dire le jour et même l'heure et même la minute et la seconde de cet instantané. Peut-être même la géolocalisation, latitude, longitude, tout... Mais tu t'en ficherais pas mal, non? Et tu aurais bien raison. On ne peut plus rien faire, aujourd'hui, sans que tout soit précisément enregistré, fixé. Chaque regard à la fois capte et est capté. Tout ça vient nourrir une mémoire inutile qui ne cesse de grossir, sans discernement. Grossira-t-elle comme ça infiniment? On pourrait ainsi cartographier une vie, suivre presque pas à pas un cheminement, un destin. Ça a quelque chose de fascinant et en même temps de complètement déprimant. C'est triste. Ce monde est triste. Cette volonté de tout vouloir garder, noter, classer, cartographier, est triste. Parce que la vie nous fuit, nous traverse fugacement sans jamais vraiment nous emplir. Parce que le Temps. Bientôt il ne restera plus rien de moi. Mes joies, mes peines, mes petites misères très banales, tout alors disparaîtra. Puisque je disparaîtrai. Plus rien non plus de ce monde, qui n'est pas plus éternel que moi, ne restera. Mais cet instant, cet instantané, je m'y arrête, je décide alors d'en effacer toute trace temporelle ou géographique, d'en faire un cliché à l'ancienne, si on veut. Tu vois? Je suis passé par là, un jour, je ne me souviens plus quand, je ne me souviens plus où. Quelle importance... Un petit chemin au bord de l'eau... C'est mon chemin... Tu vois, cette lueur, au bout?... Évidemment, en avançant, tout se dissipe, et disparaît la lueur... C'est pourquoi il est bon de s'arrêter, de se leurrer, figer le moment et la scène comme si le cheminement n'avait jamais eu lieu et qu'il n'y avait alors que le chemin... Tout n'est que déception, au bout, forcément, c'est pourquoi il est bon de s'arrêter, pour contempler le chemin, rêvasser... Il faudrait savoir alors ne plus avancer...
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