Lech dort... Tu croyais que j'étais mort? Hein? C'est ça? Que je ne reviendrais plus?... Eh bien non, je suis encore vivant, un peu, au moins un peu, peut-être même un peu plus qu'un peu, et je suis là, en somme... En somme de quoi?... En somme, comme Lech, ce jour-là, en somme... Lech?... Mais peut-être pas Lech... Qu'est-ce que j'en sais, moi... Scarface... Mais pas du tout terrible comme l'autre... Un scarface endormi... Il cuvait, oui, sans doute... L'ai revu, l'autre jour, titubant, dans la rue, pas du tout terrible comme l'autre, gentil plutôt même, gentil abruti, souriant, paisible, il me salue en passant, bon voisin, Lech, en somme... ou pas Lech... Polonais, pas polonais, qu'est-ce que j'en sais moi... Il aurait été français, je l'aurais appelé Jean, parce que Lech c'est un peu comme Jean, là-bas, en Pologne, non?... un prénom très courant... si on peut dire... Mon père s'appelait Jean, c'est peut-être pour ça aussi que je l'appelle Lech, l'autre, je me dis, Scarface, parce que mon père aussi il en avait une, de cicatrice, mais sous le nez, lui, une chute de vélo, quand il était jeune et gravissait et dévalait les cols en souriant, parce qu'il avait été jeune et avait gravi et dévalé moultes cols, en souriant, mon père, Jean, quand il était insouciant, jeune abruti, Scarface lui aussi... Lech, lui, plutôt un coup de couteau, je me dis, mais peut-être pas... en se rasant peut-être seulement, et peut-être pas Lech d'ailleurs, ni encore moins polonais... Tu sais, toi?... Moi, je ne sais rien... Lech... Jean... Scarface... Je le revois, dans la rue, titubant, arrachant le cellophane d'un paquet neuf de cigarettes américaines, son luxe à lui, peut-être son seul luxe... Dans le pire des marasmes, on s'en grille une, ça va tout de suite beaucoup mieux, même avant de monter à l'échafaud, c'est un sursis, avec le petit gorgeon, une petite déchirure dans l'espace-temps dans laquelle se blottir, par laquelle s'évader un moment, l'éternité peut-être, j'ai bien connu ça... autrefois... et maintenant je suis peut-être mort, alors, quelque part, ou au moins je n'ai plus cet élan, cet élan que j'avais... vers la prochaine cigarette... ce qui me tenait... me faisait avancer... vers la prochaine cigarette... Fumer, c'était toute ma vie... J'ai même écrit un livre, un gros, très raté, mais sans aucune rature, en laissant toutes les fautes, toute la faute, d'un trait, autrefois, au crépuscule de ma triste jeunesse : Apologie de la fumée... Et maintenant, alors, je vais où? Et pourquoi? Et comment?... Je n'ai plus de sursis... Plus vraiment de refuge ni d'espoir ni de rêves... Alors oui, je respire beaucoup mieux, je suis même en très grande forme, grosso modo, mais pour quoi faire?
1 commentaire:
Ah vous revoilà, chouette :) . J'ai connu un Jean, moi aussi, d'origine polonaise, un type très attachant... des cicatrices, mais invisibles... ce sont peut-être les plus belles.
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