C'est en sortant de la salle de bain que j'ai pris conscience que j'étais mort. Je devrais plutôt dire salle d'eau car je n'avais pas de baignoire, seulement une douche, mais j'ai toujours trouvé que ça faisait con de dire salle d'eau, précieux, sirupeux, bourgeois qui se veut et se trouve distingué, qui connaît, lui, les subtilités du langage, comme de dire réfrigérateur, boni ou spaghetto, en revanche... Bref. J'ajoute que ce que j'appelle salle de bain faisait aussi lieu d'aisance et que je venais de me lever du trône quand j'ai pris soudain conscience que j'étais mort. Ne jamais abandonner son trône, je le savais... Ce que je ne savais pas, c'est que j'étais déjà mort bien avant d'en avoir pris conscience. J'avais cru vivre, un certain temps, alors que j'étais bel et bien mort. D'autres que moi peut-être aussi m'ont cru alors vivant, mais peut-être pas. Sauf que j'étais mort. Prendre conscience de ma situation, si je peux dire, m'a alors fait prendre conscience que j'avais vécu un certain temps comme un genre de fantôme, de zombie, une âme en peine autrement, je ne sais pas comment dire... Ce jour-là, j'avais fixé au mur une photo de Mouchette. Je l'avais regardée longuement et l'émotion m'avait gagné, j'avais alors pleuré, sans éclat, doucement, pudiquement, en souriant, c'était même très bon, comme je l'aimais, cette gentille bête. Mouchette sortait de la salle bain, donc. La salle de bain qui je précise était aussi son lieu d'aisance puisque sa caisse jouxtait mon trône et qu'on s'y retrouvait d'ailleurs souvent, dans la salle des trônes, assis l'un à côté de l'autre, faisant de concert ce qu'on avait à faire. Elle sortait de la salle de bain et je l'avais prise en photo, à hauteur de chat, venant vers moi, faisant son miaou qui m'émouvait tant, son miaou qu'elle ne disait qu'à moi. C'était ainsi une photo sonore que j'avais fixée à mon mur. C'était Mouchette, vraiment Mouchette. Depuis qu'elle était morte, j'errais comme une âme en peine il faut dire, la vie n'était plus du tout comme avant. Tout, petit à petit, disparaissait autour de moi, à commencer par mon métier, bientôt mon existence sociale, tout foutait le camp en somme et moi-même je commençais à m'effacer, d'abord en surface, puis, bientôt, dans les interstices de la surface... Sans me l'avouer vraiment, ma vie n'avait été qu'une vie de chat et même de chatte stérilisée... C'était quand même bien mieux qu'une vie de chien... C'est en sortant de la salle de bain que je l'ai vraiment su... C'est comme si quelqu'un m'avait alors pris en photo, à hauteur d'homme, un instantané, sortant de la salle de bain, jetant un coup d'œil sur la photo à hauteur de chat de Mouchette sortant de la salle de bain me regardant la prendre en photo tout en se précipitant vers moi et me disant... Quelqu'un, je ne sais pas qui... Personne, sans doute... En tout cas j'ai vu très nettement la photo... Silencieuse, la photo, pas comme la photo sonore de Mouchette... Ça y est, je suis mort, je me suis dit, même si c'était insensé, puisque j'étais mort déjà depuis un an et demi... On m'appelait parfois Monsieur Mouchette, avant... Puis, on aurait pu m'appeler Monsieur Feu Mouchette... Maintenant, assurément, on pouvait m'appeler Feu Monsieur Mouchette...
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