J'ai dû aller jusqu'en Italie pour trouver enfin une belle copie de the strange love of Martha Ivers (lo strano amore di Martha Ivers— l'emprise du crime), de Lewis milestone. Il est dans mon petit panthéon noir depuis longtemps, avec tant d'autres perles comme gun crazy, detour, dangerous crossing, black angel... et tant d'autres... des films qui ont fini par devenir même intimes, éléments d'une sorte d'autocinébiographie rêvée... Pour dire les choses grossièrement, il y a d'un côté le western qui parle de l'homme dans la nature, de l'autre le film noir qui parle de l'homme dans la ville. Les deux parlent de l'homme dans sa tête, sauf que le décor est différent et le décor, au cinéma, c'est tout, c'est même le monde. Il y a parfois des films noirs, comme high sierra, qui sont en fait plutôt des westerns, et des westerns, comme I shot Jessie James, qui sont plutôt des films noirs, pour dire que les frontières ne sont pas complètement étanches. On peut considérer ces deux genres comme les deux genres majeurs du cinéma américain, sa création exclusive, qui, quelque part, imbriqués l'un dans l'autre comme le yin et le yang, forment une sorte de mystique cinématographique. Il y a le dedans, le dehors, le dedans qui est dehors, le dehors qui est dedans... Ce sont peut-être les films qui m'ont le plus impressionné dans l'enfance, quand ils passaient à la télé, pour ceux que j'ai vus dans l'enfance. Parce qu'ils étaient très codifiés, j'étais aussitôt plongé dedans comme dans des rêves, et ça n'a pas changé. Il y avait les grands espaces, la mythologie du Far West, il y avait les espaces confinés, enfumés, les murs du film noir... Le passé mythique, le présent brutal... Tout cela s'est imprimé en moi, cette vision du monde dichotomique pour ne pas dire bipolaire... Soit c'est un western, soit c'est un film noir, ou bien alors c'est un western déguisé en film noir, ou bien l'inverse... C'est comme avoir un appartement en ville et une maison à la campagne et, entre les deux, il y a encore autre chose, un autre espace... Dans tous les cas ou presque, la nature humaine est violente, criminelle. La violence est même le moteur de tout. C'est ce qui est beau, dans le cinéma américain, cette brutalité essentielle, originelle et toute la finesse pour l'immortaliser. Les plus belles réussites, dans ces genres, situées en gros dans les années 40 et 50, sont des sortes de rêves éveillés et le spectateur, moi, un gamin les yeux écarquillés qui croit en tout ça absolument, naïvement, d'un cœur pur, comme il croirait en Dieu s'il n'était pas mécréant. Quelque part, donc, ces films ultra violents, dominés par des pulsions criminelles et sexuelles, sont avant tout des films pour enfants.
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