jeudi 19 mai 2011

Une inconnue venait me voir, anonyme, me disait des choses très gentilles, très tendres. Je l'ai bannie. Quand elle venait me voir, mon compteur s'affolait. Elle est là, je me disais alors... J'allais donc la retrouver, quelque part dans mon labyrinthe, là où on s'entretenait... Mais je me suis bientôt moqué d'elle, de sa candeur, de sa gentillesse. J'ai horreur qu'on m'admire, qu'on me flatte. Je flaire toujours la tromperie, derrière les mots trop gentils. Je la soupçonnais en plus de ne pas être tout à fait inconnue. Elle me faisait penser à quelqu'une. Puis même à deux. Puis, après l'avoir bannie, à dix... cent... Juste au boulot, dans mon cinéma... Tiens, celle-là, la petite très jolie, elle est encore plus timide qu'avant... Elle baisse les yeux, maintenant, quand elle me parle... Et puis l'autre, là, elle m'a dit un truc bizarre, hier... C'est qu'il y en a des filles, dans mon cinéma... Et ailleurs... Ma voisine?... Et puis le passé, évidemment... Je l'ai bannie... C'était sans doute ma seule visiteuse assidue depuis un certain temps... Elle a fait exploser mes statistiques du mois d'avril... Du coup, ça faussait mes statistiques, ça ne voulait plus rien dire... Parce que ça me plaît bien, d'étudier mes statistiques, savoir d'où ils viennent, tous ces pèlerins... Une fois, quelqu'un a atterri chez moi en cherchant à savoir combien il fallait de temps pour mourir crucifié... Quelqu'un d'autre a tapé dans google : "j'ai menti mon père est mort"... Fascinant... En général, c'est très calme, il ne vient pas grand monde, c'est apaisant, je me sens un peu gardien de phare éteint, avec mes jumelles, sur une île improbable, ou même pas une île, un récif quelconque bien à l'écart des routes commerciales, touristiques, bien à l'écart de toutes les routes... Parfois, j'ai plein d'Américains, qui viennent, d'un coup... (Quand je dis plein, c'est une dizaine...) Que viennent-ils faire?... Après le tsunami, j'ai eu une vaguelette de Japonais... Puis il y a eu ma visiteuse anonyme, mon inconnue que je soupçonnais de ne pas l'être tant que ça, à cause de mes statistiques, parce que je faisais des recoupements, c'était fortement improbable qu'elle fût venue par hasard, comme elle l'affirmait, pas impossible, mais improbable... Une chance sur mille?... Grosso modo... Bref, je l'ai bannie... Je l'ai chassée une première fois, en prenant ma grosse voix, sachant qu'elle reviendrait (mon instinct), puis la deuxième fois je l'ai carrément bannie, mon inconnue... Gentiment, mais tout de même assez cruellement je me suis dit ensuite... Elle semblait dans tous ses états, avant que je la bannisse, émue, blessée, je me suis dit alors qu'il valait mieux la bannir, pour ne pas la blesser davantage, mon inconnue, par précaution, ça dégénérait scène de ménage très houleuse et même tempête conjugale, me suis-je dit, du haut de mon phare éteint... Elle est revenue encore un peu, après, je l'observais, elle se rendait toujours au même endroit, dans le labyrinthe, là où nous avions rendez-vous, autrefois, sauf qu'elle ne rentrait plus par la même porte, comme pour se dissimuler encore plus, même si elle ne pouvait plus s'exprimer comme avant, puisque j'avais effacé toutes les traces de son passage (sauf une) et ainsi de son existence et donc de notre relation si je peux dire... Elle venait un moment, hésitait, repartait, revenait un moment plus tard, hésitait encore... Moi, silencieusement, je l'observais... Puis tout est redevenu bien calme, sur mon bout de rocher isolé... Plus personne ne vient m'emmerder... Tranquille... La vie sauvage quoi... En même temps, elle me manque, mon inconnue, maintenant qu'elle n'est plus là... Qui qu'elle soit, elle était tout de même ma seule lectrice avérée, ma mystérieuse intruse... Si ça se trouve même elle était très jolie et très fine, ma groupie, comme elle disait... Elle me trouvait tellement sensible et plein de charme... Ça peut agacer...

7 commentaires:

Jean-Charles F. a dit…

Juste quand ça devenait enfin un peu romanesque, vous avez redisparu. (On peut dire que vous ménagez vos effets.) Vous bilez pas trop, L., il n'avait pas l'air si bien que ça, avec son cure-dents entre ses dents toutes blanches et son sourire d'Américain qui a tout compris, ses yeux charmeurs de prédateur fade de mauvaise série télé. (Un futur gros, si vous vous voulez mon avis.) Moi aussi, j'étais anarchiste, au lycée, sauf que je n'ai pas continué. J'avais un badge, oui oui, sur ma chemise, parfaitement. N'empêche que vous êtes dure, à me mettre l'eau à la bouche ainsi, avec vos histoires extravagantes, puis disparaître, le poisson à peine ferré. Bonne journée. JC

Fleur a dit…

Que voulez-vous, je n'ai pas l'habitude de m'exhiber sur un blog moi... et puis si je vous dis tout, je ne serai plus tout à fait votre inconnue, je deviendrai même d'une banalité confondante, le contraire d'une source d'inspiration, ce serait dommage, non?

Vous avez raison pour L., il a tout du jeune premier qui deviendra une notabilité et l'histoire tout du roman de gare - le jeune homme séduit la femme mariée, puis il s'envole vers de nouveaux horizons. Elle, il lui reste ses yeux pour pleurer, son mari, ses enfants, ses souvenirs de Mme Bovary... Pathétique, rien d'extravagant. Vous connaissez probablement des centaines de films qui racontent ce genre d'histoire. J'aime beaucoup "une journée particulière", un peu dans le même esprit... pas vous peut-être?

Les années lycée et l'anarchie, ça ferait un joli billet de blog aussi...

Bonne soirée

Jean-Charles F. a dit…

Si si, j'aime beaucoup... Sauf que Marcello, dans ce film, il est homo, il me semble, non?... (Ne me dites pas que L. l'était aussi...) Et puis ne soyez pas trop cruelle avec vous-même... (Fleur, ce n'est pas terrible, quand même, je préférais ô combien votre prénom...) Quant aux années lycée, que d'ennui... Et vous avez raison, ne m'en dites pas plus, même si je suis très curieux, avec vos histoires de Bovary et de Sophia Loren qui me donnent le tournis. (Moi, je ne l'ai jamais méprisée, Madame Bovary. Comme elle est bien, Jennifer Jones, dans le film de Minelli.) Bonne nuit.

Froussarde a dit…

Bonjour, ça va mieux le tournis?

C'est vous que je trouve dur avec moi, vous utilisez tout le temps l'impératif, "ne dites pas", "ne soyez pas", sans vous offenser, c'est limite intrusif, après tout on n'a pas regardé Club Dorothée ensemble...

Bovary de Minelli, pas vu. Je lis à propos des films mais en vois peu. Mais contente de savoir que vous ne méprisez pas Madame Bovary, je ne vous imagine pas méprisant (oui, moi aussi je fantasme un peu, très peu).

L., pas homo non - en fait j'ai mis du temps à comprendre (j'étais jeune...) que Marcello l'est dans "une journée particulière"; ca ne me paraît pas important, ce qui m'avait plu c'est que ces deux personnes partagent un petit bout de vie, rien ne pouvait les réunir et soudain tout les réunit. Et puis enfin tout les sépare à nouveau. C'est beau...

Bonne journée

ps: je n'utilise pas mon prénom, ça m'effraie, l'impression d'être toute nue... je préfère me tapir anonymement dans vos textes et vos photos, je vous ai dit, je me sens bien dedans.

Jean-Charles F. a dit…

Froussarde, pardon pour l'impératif. Quant au tournis, c'était à cause des images, je vous imaginais déjà en ménagère, brune poivrée aux yeux mélancoliques, approchant la quarantaine, bigrement sensuelle dans votre tablier à fleurs un peu fanées, dans la torpeur d'un chaud après-midi de mai, le mari parti avec les enfants à un congrès de l'UMP, Sophia Loren quoi. Toute nue, en utilisant votre prénom? Il ne vous en faut pas beaucoup. Il n'est pas si rare que ça, votre prénom. Je n'ai rien vu, en tout cas, hélas pour moi, rassurez-vous. (Pardon pour ce nouvel impératif.)

Froussarde a dit…

Pour m'imaginer nue, il vaudrait mieux penser à Balasko dans "Trop belle pour toi" qu'à la belle Sofia... mais je suis sans doute trop dure avec moi-même là... En tout cas c'est magnifique oui, de la voir elle Sofia Loren, dans son tablier, sa cuisine, son immeuble.

En fait, ça ne me dérange pas que vous sachiez qui je suis (j'étais prête à vous dire mon nom, vous l'auriez tapé sur Google et vous auriez lu quelques petites choses - et vu même ma photo de quadra, à peu près comme pour L. sauf que je ne suis pas sur wikipedia et que je n'ai pas le cure-dent, quelle vulgarité ce cure-dent...). Mais je ne veux pas que ça apparaisse sur le blog, je crains la mémoire du web et les moteurs de recherche. A tort sans doute, chacun sa paranoïa...

On va arrêter de se parler bientôt non? Je vous guette trop je trouve... je peux vous laisser le dernier mot, je sais que vous préférez.

Jean-Charles F. a dit…

Froussarde, ne me guettez pas trop, car je vais bientôt m'en aller, ce serait dommage de gâcher votre après-midi et votre soirée. (Pardon... l'impératif...) Comme je vous l'ai dit déjà, je ne vis pas sur internet. Le mot de la fin? Le cure-dent, oui, très vulgaire. (PS : Dans mon "profil", cliquez sur la fumée, il y a mon e-mail.) Et maintenant, disparaissons! (Merde... encore un impératif...)

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