Je ne me lasse pas de la splendeur de La Splendeur des Amberson. C'est toujours mon Welles préféré. Il aurait pu se contenter de Citizen Kane et de La Splendeur des Amberson. Après, il n'aura plus ce style flamboyant et retenu, cette justesse, cette vitalité, cette poésie. C'était quand même quelque chose, le cinéma... La Splendeur du Cinéma... C'est ce que je me dis... L'âge d'or est terminé depuis longtemps ou plutôt les âges d'or sont terminés... La décadence a duré... dure encore un peu... Il bouge encore un peu, le cinéma, à peine... En périphérie, il bouge encore un peu... Peut-être qu'on s'est trop gavés d'images et qu'elles ont perdu toute puissance esthétique, émotionnelle, onirique... On ne sait plus raconter d'histoires... On régurgite, réingurgite... On ne sait plus rêver, comme si tout avait été déjà rêvé... Alors je n'ai plus envie d'aller au cinéma... J'y suis trop allé... M'y suis trop ennuyé... Je préfère revoir La Splendeur des Amberson, chez moi, tout seul, emmitouflé dans ma vieille couverture, un après-midi d'hiver tout gris... Au cinéma, même si j'y travaille, je n'y vais presque plus... Je projette des films qui ne sont guère plus que des numéros de salle... On vient pour consommer, dans mon cinéma... On bouffe... (Et parfois aussi on vomit...) Bientôt, il n'y aura même plus de projectionnistes, dans les cinémas, c'est le Progrès... On va foutre à la poubelle une technologie vieille comme le cinéma, remplacée par une autre sans âme, plate, froide, que n'importe quel couillon pourra gérer à distance sur son ordinateur... Et mon métier va disparaître... Je ne tendrai plus l'oreille à côté d'un projecteur pour m'assurer que sa musique est juste, comme un mécano au dessus d'un moteur... Ça avait un certain charme, la mécanique, la pellicule... J'en parle déjà au passé, me suis mis à charger les projecteurs comme si c'étaient les derniers... Les petits soins apportés (ou non) à chaque projection... Mais je le savais, depuis le début, c'est même pour ça, entre autres, que j'ai choisi ce métier moribond... C'est la fin d'une époque... Ça ne me fait pas si mal que ça, quand je considère l'écrasante majorité de la production cinématographique actuelle : quel gâchis de filmer ça sur pellicule... Le cinéma est mort depuis longtemps, de toutes façons, il suffit de se plonger dans son histoire... Il a eu une aube et un crépuscule... C'était un truc du XXème siècle et plutôt de la première moitié, comme le jazz... (Aujourd'hui, il n'y a guère plus que les séries télé qui sont vivantes, excitantes, même si on sent déjà l'essoufflement du phénomène...) Alors, on a sa petite cinémathèque individuelle à la maison, qu'on regarde à la télé... On préfère explorer le passé plutôt que consommer le présent... Et puis c'est bien, la télé... Moi, c'est à la télé que j'ai découvert le cinéma... et que je continue à le découvrir... Ce qui était un spectacle populaire, collectif, est devenu un plaisir solitaire...
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