Bergman, c'est les visages, les (très) gros plans. S'il ne s'est pas contenté de mettre en scène au théâtre, c'est pour les gros plans, les visages. C'est manifeste dans persona qui alors peut être vu comme son manifeste tardif, 1966 (je nais), le film où il a peut-être eu besoin de capturer l'essence de son propre cinéma, un film (entre autres) purement théorique. (Après ce film, il n'y a plus grand chose d'excitant, chez Bergman, c'est un peu son orgasme... C'est un peu comme Sonny Rollins après 1957...) J'ai revu, cet après-midi, vers la joie, qui date de 16 ans plus tôt. C'était comme si la caméra désirait toujours venir plus près. Je parle de désir et non de volonté. C'est irrépressible. Elle ne pense qu'à ça, la caméra. Elle se retient, jusqu'au moment où, n'en pouvant plus, elle vient. Comme un papillon fasciné par l'ampoule. L'œil approche, sans plan de coupe, du visage, de plus en plus près. D'autres fois, c'est le visage, qui approche, qui est alors le papillon fasciné par l'ampoule, la lumière. Il y a une sorte d'impudeur, parfois, à venir si près, quelque chose dans le regard qui serait du domaine de la pornographie. Comme dans la pornographie, à un moment, on ne peut plus continuer, il y a une limite à la pénétration du regard, au gros plan, on peut en ressentir une sorte de frustration ou d'impuissance, de tristesse finalement. Que découvre-t-on, quand on arrive à la limite du gros plan? Une vérité? Une émotion? La Joie est incompréhensible, dit le chef d'orchestre philosophe de vers la joie, ce n'est pas la joie qui fait rire, c'est celle qui explose, qui emmène au delà de la tristesse la plus douloureuse. Tout est dit. Il n'y a peut-être que ce qu'on y projette, dans le visage. Je ne sais pas. C'est incompréhensible. Il y a un mystère, dans ces visages vus de si près, qui n'est peut-être que le mystère que nous projetons. Peut-être qu'il n'y a que du vide, le vide du visage en soi et (ou) le vide de ce qu'on y projette. On a envie de toucher. De pénétrer. C'est très sexuel, Bergman. Ses actrices n'étaient pas sublimes pour rien. Il m'arrive de ne regarder un film de Bergman que pour me perdre dans la contemplation de ces visages sublimes. Un film de visage, c'est bien plus excitant qu'un film de cul. Finalement, le scénario, les idées, je m'en fous, moi ce que je veux c'est du visage. Alors, je me redresse de mon canapé, je me penche pour le toucher, ce visage immense, je suis redevenu un enfant, innocent, tout nu, devant ma télé, je réalise alors que je bande.
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