La femme mystérieuse de Tokyo attire tous les regards, y compris et surtout ceux des masseurs aveugles. Toujours Hiroshi Shimizu. On reste dans la grâce, tant qu'on y est, avec les masseurs et une femme (anma to onna). Créature de rêve. On fantasme dru. Elle est un peu l'équivalent de l'oiseau migrateur dans le bus d'arigato-san, le mystère incarné, l'érotisme inaccessible, évanescent, comme ce rêve qui se dissipe au réveil inéluctablement. On la croit longtemps une sorte de transposition japonaise de l'Irma Vep des Vampires de Feuillade. C'est en tout cas ce que croit le jeune masseur aveugle envoûté par le parfum de la dame. Nous aussi, dans ce film, on est aveugles et envoûtés par le parfum de la dame, car c'est par les yeux du masseur qu'on la contemple. C'est une image mentale plus que réelle. Une sensation faite image. Fruit trouble et troublant de l'imagination, du désir. Ce plan magnifique en fondus où elle marche sur le pont étroit et fragile comme le fil du temps suspendu, disparaissant, réapparaissant un peu plus loin, redisparaissant, réapparaissant encore plus loin... (Comme chez Mizoguchi, il y a chez Shimizu ce truc du plan sublime, vraiment sublime, épiphanique, qui semble être le cœur de l'œuvre, où une sorte de beauté suffocante nous est révélée et palpite.) Elle nous échappe. On aimerait tant la retenir. Mais comment retenir un rêve? Peut-on, sait-on retenir un rêve? A la fin, on ne sait toujours pas qui est le mystérieux voleur. On s'en fiche. Ce qui semblait être un fil directeur n'a plus aucune importance, s'est même dissout dans l'air, comme dans un rêve. Les pistes, à peine foulées, s'effacent. Il ne s'est donc rien passé? On a seulement... rêvé? On sait juste qu'elle a disparu, cette fois pour de bon, qu'on ne le reverra plus. Déjà, le souvenir de son visage, de sa silhouette tellement gracieuse, s'éloignent. On a beau écarquiller nos yeux intérieurs de rêveurs ou d'aveugles, les contours deviennent flous. Comme si elle n'avait été qu'une impression fugace, une sensation étrange et pénétrante, quelque chose dans l'air qui est passé, comme un éther qui nous a emplis et rendus un peu ivres, ne nous a laissé ensuite que la nostalgie, le mal de la nuit... Qui? Elle, là, qu'on a rêvée. Ou bien était-elle réelle? Qu'est-ce que ça change... Elle a gardé tout son mystère. On trouve ça tellement beau, même si on est doucement déchiré, légèrement, infiniment inconsolable.
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