Arigato-san (Monsieur Merci) est chauffeur de bus. Ce n'est pas rien. Comme il est très gentil et plutôt beau garçon, toutes les filles sont un peu amoureuses de lui, dans le bus, mais aussi sur la route. Il connaît toutes les histoires. Tout ce qui se passe dans son bus lui est familier, mais aussi sur la route. Il connaît tout le monde et tout le monde le connaît. On lui confie des missions, des messages à délivrer, des tombes à visiter, un disque à acheter parce que les jeunes filles s'ennuient, à la campagne. Il est toujours de bonne volonté, désintéressé, jamais pressé. C'est le meilleur des chauffeurs de bus. On va jusqu'à rater le bus précédent, pour voyager dans le sien, même s'il faut attendre des heures. Comme il dit sans arrêt merci avec un grand sourire et un geste de la main, on a fini par l'appeler Monsieur Merci. Une jeune fille accompagnée de sa mère se rend à Tokyo où elle sera vendue comme prostituée. Elles n'ont pas tellement le choix. On ne juge pas. C'est la vie. D'un seul coup d'œil dans le rétroviseur, il a tout compris. Lui qui est tellement joyeux de nature, ça le rend soucieux et même triste. En même temps, il a économisé assez pour s'acheter une chevrolet d'occasion et abandonner son vieux bus, c'est un peu son rêve. Un bel oiseau migrateur lui glisse à l'oreille que s'il décidait de ne pas acheter la chevrolet, alors peut-être que la tendre jeune fille ne serait pas forcée de se prostituer. C'est qu'il s'en passe des choses, dans le bus de Monsieur Merci, à 20 à l'heure, dans ce somptueux road-movie de Hiroshi Shimizu. (L'histoire est de Kawabata, que j'ai découvert la même semaine que Shimizu.) En 1936, au Japon, Hiroshi Shimizu tournait en extérieur des histoires simples, d'un style et d'une élégance incomparables. La nouvelle vague n'a pas inventé grand chose. Tout en disant ça, je vois la vague de Hokusaï. Je pense alors à Maine Océan, de Jacques Rozier. Et puis aussi à l'expédition, de Satyajit Ray. Si j'avais un cinéma, je programmerais les trois, l'un derrière l'autre, en commençant par le plus récent. On finirait par Arigato-san, de Hiroshi Shimizu. On en serait ravi, drôlement ému, le cœur tout ondoyant, ne sachant s'il faut sourire ou pleurer. On rentrerait chez soi lavé de tout à-priori évolutionniste, porté, par delà les âges et les cultures, par la même vague. Ce n'est pas la nouvelle vague. C'est juste la vague. Elle serait même plutôt très ancienne, comme je vois les choses, cette vague, pour ne pas dire sans âge, et c'est très bien ainsi.
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