Il n'y a pas de raison pour que les choses changent. Il n'y a pas de raison non plus pour que les choses ne changent pas. Il n'y a pas de raison. Mais dans tous les cas on cherche une raison, car il nous faut une raison. C'est ainsi. Car il n'y a pas de raison d'être là, s'il n'y a de raison à rien. On ne peut pas se contenter d'être juste là. Il faut une raison. Tout comme une chaise a une raison d'être, il nous faut aussi une raison d'être et la raison d'être se résume bien souvent à cette croyance fragile en l'être et en la raison qui peut aller avec, ceci, ou cela, selon les existences, ou bien ceci, puis cela, car on peut en changer comme de costume, quand l'un est trop usé on en enfile un autre, si on en a un autre sous la main, rapidement si possible car sinon on risque ce qu'on appelle la dépression, la dépression qui est une sorte de dérèglement climatique qui nous arrache brusquement ou lentement tous nos vêtements et laisse alors dans une sorte de nudité, une nudité même jusqu'à l'os, qui nous est difficilement supportable, car on ne peut alors plus se cacher, non pas seulement aux yeux du monde mais à nos propres yeux. Alors il faut une raison d'être. On y croit. Il le faut. Sinon tout s'écroule. Tout comme une chaise a une raison d'être. Si soudain cette même chaise cesse d'avoir sa raison d'être, que devient-elle? La raison d'être de la chaise, c'est le cul. Sans le cul, pas de chaise. Si l'être humain était sans cul, assurément, il n'y aurait pas de chaise. Je suis étonné qu'aucun penseur dans l'histoire de l'humanité n'ait soulevé ce problème. Le problème de la chaise, de la raison d'être de la chaise, qui est le cul, rien que le cul. Et le cul, alors, quelle est sa raison d'être? Certainement pas la chaise. La chaise n'est pas la raison d'être du cul, seulement un agrément. Tout comme le cul d'ailleurs peut être un agrément. Tout comme moi-même d'ailleurs je peux être un agrément. On peut d'ailleurs concevoir toute chose, toute personne, comme un agrément, ou un désagrément, ce qui est à peu près la même chose, selon l'humeur, le moment. Mais la chaise, soudain, privée de raison d'être, ou plutôt libérée, là, dans le pré. N'ayant plus à supporter muettement le poids de tous ces culs. N'existant alors que par elle-même, pour elle-même, sans raison, pour rien, enfin, dans ce monde soudain sans culs.
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