Jirô Taniguchi m'émerveille et m'émeut. Je ne pensais pas qu'une BD un jour pourrait me faire un tel effet. Quartier Lointain est tout simplement stupéfiant. Je le savoure tout doucement. J'ai peur d'arriver à la fin. J'ai peur de savoir comment cela finira. J'aimerais que cela ne finisse pas. Comme c'est beau. Comme c'est simple... baigné dans une sorte de sérénité mélancolique. L'émotion est retenue, un peu comme chez Ozu et au bout d'un moment ça monte aux yeux. C'est bon. J'aime Taniguchi. Le premier que j'ai lu était l'homme qui marche. J'ai grandement été ému également par l'orme du Caucase... Et puis aussi par... J'ai toujours un manga de Taniguchi en attente d'être lu, caressé des yeux... Je ne me précipite pas, je ne le dévore pas, j'attends un peu, je tourne autour, le prends, le repose, le laisse dormir un peu, le reprends quelques jours plus tard, l'ouvre au hasard, le referme... non, ce n'est pas encore le moment... Il ne nous drague pas, Taniguchi, ne cherche pas à nous plaire, c'est ce que j'aime... C'est de l'amour... C'est pur... Ça fait un peu peur, d'y entrer, juste un peu, on a envie et puis on a un peu peur... un peu peur peut-être que ça gâche quelque chose, l'envie, le désir, le rêve, c'est idiot... Quand on est dedans, on n'a pas envie de tout découvrir d'un coup... On s'attarde sur une page... Bientôt, je les aurai tous lus... Je redoute ce moment... En même temps, je pourrai toujours les relire... Oui, mais ce ne sera plus jamais la même chose... Ce sera comme feuilleter un vieil album de photos... Mais je ne sais pas, en fait, comment ce sera... Serai-je troublé autant?...
mercredi 30 décembre 2009
mercredi 23 décembre 2009
Je croyais ne plus être très sensible au cinéma de John Cassavetes, mon idole de quand j'avais moins de trente ans. C'est sûr, ça ne me ferait plus le même effet, aujourd'hui, je me disais, j'étais jeune, je croyais que la vie c'était comme ça, ou plutôt que la vie se devait d'être comme ça, sinon à quoi bon... Be yourself!... Mais maintenant, toute cette hystérie, ce psychodrame permanent, non, je ne supporterais plus, ce n'est plus pour moi... je n'y croirais plus comme avant... Maintenant, j'ai envie de films posés, sobres, contemplatifs... Y en a marre des cris, des gesticulations, d'la caméra qui va dans tous les sens... Alors, j'ai revu une femme sous influence... comme ça, pour voir... Toute la dernière heure du film, je ne pouvais plus m'arrêter de pleurer... Pire que quand j'avais moins de trente ans... Et puis j'ai eu envie de revoir meurtre d'un bookmaker chinois... Oh là là... Alors, il a fallu que je revoie tous les autres... Je ne les avais jamais vus comme ça... C'était encore plus fort qu'autrefois...
mercredi 16 décembre 2009
Quel bonheur de pouvoir voir et revoir encore la mort aux trousses... Autour de minuit, l'envie me prend... Et je peux... Je l'ai... Je peux le voir autant de fois que je veux... Si j'avais su, quand j'avais dix ans, que j'aurais ce privilège... C'était le film qui suspendait le temps... C'était même un trou dans l'espace-temps... La vie, ce qui m'attendait, ne me réjouissait pas beaucoup... L'angoisse me nouait... J'avais parfois des crises terribles et je me roulais par terre en me tenant le ventre... (Un boyau qui se tord, disait le médecin de famille, qui était très gentil...) Mais là, pendant la mort aux trousses, tout disparaissait, j'étais happé... J'aurais aimé que ça dure l'éternité... Magie du cinéma... De ce film, en particulier, pour le gamin de 10 ans que j'étais, de 43 ans que je suis... La nuit m'appartient... Je n'ai plus ces angoisses de quand j'avais 10 ans, mais j'ai conservé le goût immodéré pour ce film... Je suis émerveillé à chaque fois au moins autant que la fois précédente... Quelle splendeur... Quel rythme endiablé... Et puis je ris, même si je connais toutes les répliques par cœur... (La scène dans l'ascenseur avec sa mère et les deux tueurs... juste m'en souvenir me fait glousser...) Et puis je suis toujours autant ému quand je vois Eva Marie Saint... Quelle grâce... J'en ai les larmes aux yeux, quand je la vois... La petite musique mélancolique de Bernard Herrmann, pendant les scènes d'amour... Comme c'est douloureux, au fond, l'amour, mon amour, comme si sa jolie main vous étreignait le cœur à nu, à vif, tendrement... Comme le technicolor était beau... Comme toutes les choses étaient belles, les voitures, les architectures, les compartiments de train, les robes d'Eva Marie Saint... Eva, qui s'appelle Eve, dans le film... Comme Cary Grant était drôle... Comme James Mason était fin... Comme Hitchcock était grand... Quel curieux mélange...
samedi 12 décembre 2009
Que dire alors de the crimson kimono? Tout comme dans pick-up on south street, Samuel Fuller, à un moment, s'est dit : Et si on lançait un chat dans le cadre? Il aimait bien, Samuel Fuller, lancer un chat dans le cadre, de temps en temps. C'est nerveux, un chat, c'est vif, toujours un peu sauvage, ça peut surprendre. Le tout, c'est de bien choisir le moment pour le lancer, le chat. On me dira que c'est anecdotique, voire en deçà, que c'est bien plus intéressant de parler d'amour, puisque ça parle d'amour, et de métissage culturel, et d'amitié, et de jalousie... Qu'il y en a toujours un qui reste sur le carreau... Et puis il y a un crime, quand même... Certes... Mais moi j'en reviens toujours au chat lancé dans le cadre, et aux travellings somptueux... Les scènes d'action, chez Fuller, c'est du jazz... J'aime tellement les travellings... Mais le chat, quand même, ça m'intrigue... Ce serait intéressant et rigolo de recenser tous les lancers de chat dans l'histoire du cinéma, peut-être même en faire une étude très poussée... Etait-ce l'accessoiriste, qui lançait le chat?... A-t-on souvent retourné la scène pour mauvais lancer de chat?... Y avait-il des chats spécialement affectés à ce rôle et qui auraient été ainsi lancés dans plusieurs films?... Tout comme dans underworld usa, tout comme dans pick-up on south street, il y a un personnage de femme mûre, qui a bien roulé sa bosse... C'est elle, qui a le mot de la fin : "Come on Charles, let's belt a few..."
vendredi 11 décembre 2009
"I die inside when you kiss me..." qu'elle lui dit. Après une telle déclaration, lui, il ne peut qu'être cynique et blessant. On n'est pas dans un film à l'eau de rose. Lui, en plus, l'amour et les beaux sentiments, ça n'est pas trop son truc... Son truc, depuis ses 14 ans, c'est la vengeance... Alors, quand une petite prostituée lui déclare sa flamme, ça le fait méchamment ricaner... Elle est divine... Il ne peut être qu'odieux... C'est un moment très gênant, voire révoltant, mais tellement jouissif... Comme dans pick-up on south street, la fille se prend au début un grand coup de poing dans la figure. (Au cas où l'envie lui viendrait de faire la femme fatale...) Samuel Fuller était un peu boxeur, quelque part et avait un truc bien à lui pour faire tomber les filles. Quel punch, dans underworld usa... Il était très en forme... C'est un de ses meilleurs rounds... La violence est parfois plus percutante, quand on ne la voit pas directement. Jacques Tourneur l'avait bien compris. Mizoguchi également... Dolorès Dorn est magnifique... Je ne l'ai jamais vue dans un autre film... Dommage... J'écris son nom, pour m'en souvenir... (Elle a joué surtout pour la télé...) Dès le départ, on est pris par le rythme sec et nerveux, porté par l'efficace musique d'Harry Sukman, également presqu'inconnu au bataillon... C'est filmé de façon magnifique par Hal Mohr, que je ne connais pas non plus, mais après une rapide recherche je vois qu'il a travaillé pour Don Siegel, qu'il a aussi filmé rancho notorious pour Fritz Lang, Captain Blood... (J'adore les films de pirates, surtout avec Errol Flynn, un truc de quand j'étais gamin...) Le chanteur de jazz... qu'il était déjà là en 1915, au temps du cinéma muet, derrière la caméra... Enfin, il n'y a rien à jeter... C'est du tout bon Fuller... comme on l'aime... du nerf... et puis cette sorte de lyrisme sec... A la fin, j'ai eu envie de retourner voir quelques scènes, qui semblaient déjà gravées à jamais dans ma mémoire...
J'ai adoré Satsuma, de Hiroshi Hirata. Ça m'a donné envie de revoir des films de samouraïs. Après ce manga, très documenté historiquement, on comprend mieux le Japon féodal, les tensions qu'il pouvait y avoir entre certains clans et le shogunat, mais aussi entre les samouraïs de rang différent. (Rappelons-nous le début de la vie d'O-haru femme galante, de Mizoguchi, quand Mifune, samouraï de condition modeste, est décapité pour avoir aimé une femme de haut rang...) On est captivé, du début à la fin, par cette épopée du clan Satsuma, qui fut chargé par le shogunat d'effectuer de pharaoniques travaux d'endiguement des fleuves, tout autant dans un but d'intérêt général que pour ruiner et mettre à genoux ce clan autrefois opposé aux Tokugawa. Les samouraïs se transforment alors en manœuvres, en véritables prolétaires, doivent ravaler leur fierté. Il en va de la survie de leur clan. On suit différents personnages. Il n'y a pas de héros principal. Le dessin est d'une grande force, à la mesure de l'histoire. (Mishima était un admirateur de Hiroshi Hirata.) On regrette seulement que ça ne se poursuive pas, à l'issue des plus de 1200 pages de la chose. C'était prévu. Hélas, plus de vingt ans plus tard, l'auteur n'a toujours pas repris sa grande fresque épique et humaniste.
dimanche 6 décembre 2009
"Oh putain, comme c'est beau!" me suis-je exclamé plusieurs fois tout haut en découvrant la fille des marais, de Detlef Sierck. A la fin, j'avais des grosses larmes qui roulaient sur mes joues. J'étais heureux, comblé par cette merveille de 1935 d'un jeune cinéaste allemand qui serait bientôt plus connu sous le nom de Douglas Sirk. J'imaginais que Sirk, dont je suis inconditionnel, s'était révélé à Hollywood. Je craignais un peu, avant de voir ce film, de tomber sur une vieillerie préhistorique, uniquement intéressante d'un point de vue la jeunesse de l'artiste, produite qui plus est dans un pays qui était sous le joug nazi depuis deux ans... Je me rends compte maintenant qu'il existait bien avant Hollywood et qu'il y avait déjà tout, avant, quand il était à la UFA. Même si ce n'était que son deuxième film, il avait déjà 35 ans, une solide expérience du théâtre (comme Preminger), une sensibilité nourrie d'une grande culture classique, un grand raffinement qui fait tellement défaut depuis quelques décennies... Il n'y a rien de maladroit, d'approximatif, de débutant, dans ce film... On sent une grande maîtrise, un art visuel hérité du Muet... (Je repense à ce que disait Peter Bogdanovich à propos d'Allan Dwan et de tous ces cinéastes classiques qui venaient du Muet... J'entends la voix nostalgique de Dwan évoquant le Muet : "C'était du rêve...") Certains plans sont à couper le souffle... (Tous ces miroirs... déjà...) J'ai parfois pensé à city girl, de Murnau, pour le lyrisme, la poésie onirique de certains plans, l'élégance, le sens du rythme. (Si l'on considère que les deux grands pionniers du cinéma allemand sont Fritz Lang et Friedrich Wilhelm Murnau, Douglas Sirk serait plutôt enfant de Murnau que de Lang...) J'ai pensé aussi à Mizoguchi. A Dreyer, en moins sombre... Mais j'ai pensé surtout à Douglas Sirk... Je me dis que si l'Allemagne n'avait pas sombré dans le nazisme, le cinéma allemand aurait été immense, quand on songe à tous ces artistes germaniques qui fuirent l'Europe et firent la gloire d'Hollywood, Lang, Preminger, Wilder, Siodmak, Ulmer... (Sans parler des éxilés volontaires des années précédentes, Von Stroheim, Murnau, Lubitsch, Von Sternberg...) S'il n'y avait pas eu cette tragédie, Detlef Sierck serait sans doute devenu l'un des plus grands cinéastes allemands, peut-être même plus grand que Douglas Sirk... Ça saute aux yeux... Mais Detlef Sierck, cinéaste pour le moins prometteur, a disparu dans les oubliettes de l'Histoire... (Le nazisme lui a même ravi sa femme et son fils...) Après moultes péripéties, plusieurs exils, il s'est retrouvé en Amérique, pour survivre a fait le fermier, l'éleveur de poules, sans aucune aigreur, semblait même garder des souvenirs émus et joyeux de cette époque difficile... C'est seulement en 1943, que Douglas Sirk a pu faire son premier film, Hitler's mad men...
lundi 30 novembre 2009
Parfois (et même souvent) j'ai besoin de retourner à mes classiques. Dès les premières images de Saul Bass, dès les premières notes de Bernard Herrmann, je suis envoûté. Rarement l'alchimie entre l'image et le son a si bien fonctionné. (La petite chose que j'ai remarquée lors de ma dernière vision : à un moment, lorsque Stewart est en maison de repos, quelques subtiles notes de musique opèrent la transition avec le plan suivant, quelques mois plus tard. Je me suis passé plusieurs fois cet instant, entre deux plans, pour savourer ce motif délicat, ces quelques notes qui durent des mois... Ça ne m'avait pas marqué, les fois précédentes, et là, ces quelques notes ont provoqué en moi quelque chose de très étrange et j'ai eu besoin de retourner voir, ou plutôt de retourner entendre... J'ai été conscient d'être sensible à un effet, qui auparavant n'opérait qu'inconsciemment, dans un état proche de l'hypnose...) Quand j'étais gamin, je préférais la mort aux trousses. Il passait souvent le dimanche soir, à 20 heures 30. Le lendemain matin, je devais me lever très tôt pour partir à l'internat, où j'étais enfermé toute la semaine. Alors, je savourais. Le film était long. C'était un sursis, mieux valait qu'il soit long. Si j'avais pu, je serais resté l'éternité à regarder la mort aux trousses, la boule dans le ventre disparaissant le temps du film. C'est aussi un dimanche soir à la télé que j'ai dû voir pour la première fois vertigo. C'était beaucoup plus étrange, beaucoup plus complexe, pour un enfant de dix onze ans. (Ça l'est toujours, pour un homme de 43 ans.) Je suis toujours frappé par la splendeur de la chose, sans même parler des retentissements psychologiques. Tous ces talents réunis sous la baguette de Sir Alfred... D'un point de vue plastique, j'adore la période VistaVision et Technicolor d'Alfred Hitchcock... (Même si, en fait, Hitchcock, c'est toujours beau, la grande classe inoxydable...) Quand Kim Novak apparaît, dans sa robe verte, dans le restaurant rouge... La scène dans la forêt de sequoias... La Rolls verte... Le collier rouge de Carlotta...
dimanche 29 novembre 2009
J'ai beaucoup aimé le samouraï bambou, de Taiyou Matsumoto. (Vivement le tome 2...) Depuis quelque temps, je m'intéresse un peu au manga. Je retrouve des émotions qui remontent à l'enfance, quand je dévorais des bd. (Quand je me suis mis à lire des vrais livres, j'ai arrêté les bd.) Là, c'est du travail très soigné, très beau, empreint d'une poésie et d'une drôlerie irrésistibles. On prend son temps, on s'attarde sur les pages. On n'est pas pressé d'avancer dans l'action, comme dans certains mangas très addictifs qu'on enchaîne et gloutonne comme des épisodes de 24. Car l'action finalement est secondaire. La lecture de droite à gauche, un peu déroutante au début, devient vite très agréable, change le regard dans la lecture, apporte une touche d'exotisme tout en incitant à la lenteur. On flâne, on s'arrête sur un détail, on est bien... Les planches sont composées de façon magnifique. Le découpage quasiment cinématographique. Le style du dessin est très éloigné des codes du genre. Depuis plus de vingt ans je ne lisais plus de bd. Là, ça me donne envie d'en lire d'autres, de farfouiller un peu dans les librairies spécialisées, parmi les adolescents boutonneux. C'est tellement agréable, de passer une heure ou deux à feuilleter un manga. Si en plus c'est beau, intelligent, poétique, il n'y a pas de raison de s'en priver.
samedi 28 novembre 2009
Quel plaisir de découvrir un film d'Otto Preminger que l'on ne connaissait pas. On me dira qu'on ne peut découvrir quelque chose que l'on connaît déjà et je rétorquerai que l'on croit parfois connaître une chose, ou une personne, avant de vraiment, à un instant donné, faire l'expérience de sa connaissance, la découvrir, comme si elle nous avait été jusque là voilée, cachée. Mais, en ce qui concerne Daisy Kenyon, d'Otto Preminger, je ne l'avais jamais vu avant aujourd'hui et n'en avais même jamais entendu parler. C'est un drôle de film, qui laisse un drôle de goût. A la fin, j'avais un grand sourire et les larmes aux yeux, tellement je m'étais identifié à Henry Fonda. On croit tout du long que c'est un film noir. L'ambiance est là. On attend. On sent la part d'ombre qui veut s'épanouir, qui n'attend que le déclic pour emporter et engloutir les personnages. On en a même terriblement envie. C'est comme un désir contenu. Au bout d'un moment, une sorte de frustration s'installe. On n'est pas où on devrait être, on ne ressent pas ce qu'on devrait ressentir. Tout ce qui semblait menaçant, noir, et qui est tenu jusqu'à la fin (le téléphone qui sonne interminablement, même hors-champ... Sergio Leone avait-il vu ce film avant de faire il était une fois en Amérique?...)... tout s'étiole sans vraiment disparaître, revenant comme des volutes de fumée... C'est un faux film noir... Ou alors c'est un film noir perverti dans l'œuf... La grâce lunaire et faussement candide d'Henry fonda contrebalance parfaitement la virilité impulsive de Dana Andrews, acteur prémingerien emblématique tout autant trouble ici que dans le magnifique where the sidewalk ends... Il y a comme un virus injecté dans la mécanique prémingerienne... Il a lu Sun Tzu, c'est évident, l'amour est un art au même titre que la guerre... Et la femme dans tout ça?... Elle n'est pas fatale, elle est souveraine... On est très loin des stéréotypes habituels... Chaque personnage est d'une grande complexité psychologique... Le film continue, longtemps après la fin, comme si le téléphone, que personne n'a décroché, continuait de sonner...
vendredi 20 novembre 2009
Quatre cavaliers peu rassurants arrivent dans une petite ville bien tranquille. Et c'est parti... Voilà ce que j'aime, entre autres, dans ce film, comment l'argument est posé, comment ça se développe ensuite, tambour battant. C'est ce que j'aime aussi chez Budd Boetticher, dont Allan Dwan est peut-être le père d'ailleurs, on est tout de suite dans l'action. Petits films fauchés tournés en quelques semaines. Dwan, ici, avec une poignée de dollars, nous bricole un petit bijou de western. Je l'avais vu quand j'étais gamin, à la télé, je me souvenais surtout du méchant, Dan Duryea, qui crève l'écran et de la belle Lizabeth Scott, inoubliable dans le magnifique the strange love of Martha Ivers, de Lewis Milestone, blonde aux sourcils noirs presqu'aussi mémorable que Dorothy Malone, en plus douce, en beaucoup moins sexuelle. John Payne n'est pas mal, même s'il est un peu pâlot à côté de Dan Duryea. L'homme peut-être le plus aimé et le plus admiré de la ville sera bientôt l'homme à abattre... L'instinct grégaire n'attend que le signal pour la curée... La foule a soif de sang... bien plus haineuse, finalement, que les quatre cavaliers... Quelque part, il faut lui faire payer, et très cher, d'avoir été autant admiré... Même si ça se finit bien, la conclusion est tout de même très amère... Heureusement, pour sauver ce qu'il reste de noble dans la communauté, il y a la femme, la fiancée et la putain... Ah... l'immense travelling dans la ville... comme c'est beau... aussi inoubliable que celui au début de l'homme au bras d'or ou de la soif du mal... Dès le départ, d'ailleurs, c'est beau... Des enfants jouent dans la rue... Puis on voit les sabots des quatre chevaux qui arrivent... Allan Dwan, que je connais assez peu, n'ayant vu pour le moment que trois ou quatre films sur peut-être quatre cents, a traversé toute l'histoire du cinéma américain, du cinéma muet jusque dans les années 60... Il visionnait ses films sans le son, pour voir si ça tenait... Quel dommage que la plupart de ses films, notamment de l'époque du muet, dont il était l'un des grands artisans, aient disparu... Que de trésors perdus... Peut-être qu'un jour certains ressurgiront... Dans les films parlants de Fritz Lang aussi, on aurait pu couper le son... Moi, je suis un nostalgique du cinéma muet... J'aurais aimé que ça continue... encore un peu... comme ces rêves, au petit matin...
jeudi 19 novembre 2009
vendredi 13 novembre 2009
Je ne sais pas grand chose de mon arrière-grand-père maternel. Juste qu'il avait une grosse ferme à la frontière de la Haute-Loire et de l'Ardèche. Pour dire si elle était grosse, il devait bien y avoir sept ou huit vaches, une paire de cochons et une douzaine de poules. Mais, là-bas, dans ce pays abrupt, qui s'appelait le travers et qui maintenant n'est plus que ruines au sol mangées par la nature, c'était une grosse ferme. Il eut de nombreux enfants, je ne sais pas précisément, une dizaine. La ferme, même si elle était conséquente, ne l'était pas suffisamment pour faire travailler et nourrir tout ce monde et c'est ainsi que mon grand-père, que j'ai fort bien connu, s'en est allé, vers l'âge de quatorze ans. D'abord, il a fait le tâcheron dans les fermes alentour. Plus tard, il a rencontré ma grand-mère, qui, d'après certaines rumeurs, était déjà enceinte quand il l'a épousée. (Ma mère pensait que son frère ainé, Maurice, n'était en fait que son demi-frère. Une façon, peut-être, de le refouler encore plus loin... Quel mépris elle eut pour lui, de son vivant et même après...) Au début des années 30, ils avaient 20 ans. Comme beaucoup d'enfants de ces campagnes ingrates, ils partirent, loin, pour la grande ville, St Etienne, où mon grand-père devint mineur de fond. Ce qui me frappe, dans cette photo, c'est la ressemblance avec mon grand-père, le même visage, le même regard, cette sorte de dignité rustique... C'étaient des costauds, des physiques de lutteurs. A la mine, mon grand-père était à la tâche, à prix fait on disait, faisait souvent double journée... (Il lui est arrivé ainsi de travailler plus de journées qu'il n'y en avait dans l'année...) Il avait le cœur sur la main, était l'homme le plus gentil et fiable du monde, toujours prêt à rendre service, mais il pouvait devenir violent, quand ça touchait son sens de la morale ou de la justice... ou quand tout simplement il n'en pouvait plus... Certains, parfois, profitaient de sa gentillesse et de sa naïveté... Il était honnête, droit, d'une grande simplicité, fidèle en tout... Je me souviens, on s'asseyait au fond du jardin, sur le banc, on ne disait rien, on était bien, le jardin était luxuriant, il fumait son caporal, c'était vraiment son domaine, son jardin, il était chez lui... Il me donnait sa grosse main calleuse, on allait se promener dans les allées... Quand quelqu'un disait : "C'est son pépé tout craché!..." on était fiers l'un et l'autre tout autant... Tranquillement, il tuait le lapin pour le civet, des gestes sûrs de paysan, il le clouait à la porte du clapier pour le dépecer, comme il aurait enlevé une chaussette... Le sang gouttait par un globe oculaire dans un bol... Il coupait l'herbe à la faux, sa roulée au coin de la bouche, c'était beau à regarder... Il parlait peu, mais il riait beaucoup... Il m'appelait son fillou... A la fin des vacances, quand je repartais, on avait tous les deux la larme à l'œil... Quand on se retrouvait, on avait aussi l'œil qui brillait... Comme il n'y avait pas beaucoup de lits, on dormait tous les deux dans le cosy, on était bien, on pétait un peu sous les draps pour faire râler la mémé qui dormait dans le lit à côté, on rigolait... Le cosy étant un peu en dévers, dans la nuit je roulais souvent contre le pépé... Les bois de lits sculptés semblaient avoir des yeux qui dans la pénombre me faisaient peur... Puis je sentais le pépé, à côté... Il a fini sa vie dans un hospice sordide dans des conditions misérables et j'ai toujours honte de l'y avoir abandonné, même si je n'y étais pas pour grand chose... Je me souviens de la dernière fois où je l'ai rasé... Il ne reconnaissait plus personne, à part moi... Mon fillou, il disait, quand j'arrivais et j'avais l'impression qu'il passait tout son temps à attendre son fillou et j'en ai les larmes aux yeux, là, maintenant, je me fais pleurer tout seul, plus de vingt ans après... J'avais tellement honte de ne pas y aller plus souvent... Ce n'était pas une corvée, c'était l'enfer... Ça me nouait tellement la gorge... Il était assis toute la journée dans un fauteuil, à côté d'une fenêtre sans vue, dans un pays tout triste et gris, loin de tout et de tous, attendant de mourir... Je l'ai pris en photo, là-bas... Il y avait son œil, qui luisait, dans la pénombre... Mais après, j'ai arrêté de prendre des photos, moi qui voulais devenir photographe, tellement j'avais honte d'avoir pris ces photos, comme si je n'étais venu que pour ça... La plus belle était ratée, mal cadrée, mal exposée, un pur accident... Il regardait en l'air, il semblait y avoir un halo de lumière, comme un oiseau qui s'envolait de sa tête...
mercredi 11 novembre 2009
Je ne l'ai pas connu. C'était l'oncle de ma grand-mère maternelle. Il vivait au nord de l'Ardèche, à la limite de la Haute-Loire, un pays sauvage, rude, où on cultivait surtout le caillou. J'ai une très belle boîte, ovale, en bois, qu'il avait fabriquée et qui contient toutes sortes de papiers de cette époque, des actes notariés, des relevés cadastraux, une lettre très belle aussi, écrite par un certain Fondard, à Sébastopol, pendant la guerre de Crimée. De lui, j'ai aussi un miroir, il était habile de ses mains... Il avait construit lui-même sa maison, en pierre, isolée, à flanc de colline, dominant la vallée, en face du Mont Mézenc. Pour des histoires imbéciles de famille, la maison a été vendue, dans les années 60, pour une misère, 3000 francs de l'époque, à de riches parisiens. J'y suis allé quelques fois, pour voir, une bien jolie petite maison, sur deux niveaux, avec une tonnelle attenante... je me suis même dit parfois que c'était la seule maison que j'aurais aimé habiter. Ma grand-mère disait que son oncle marchait plusieurs kilomètres tous les jours, uniquement pour aller acheter le journal au village. Il était curieux du monde, s'intéressait aux progrès des sciences et techniques, même s'il n'était que tout petit paysan, faisait un peu figure d'hurluberlu, d'intellectuel, dans sa campagne quelque peu arriérée... Il a fait la guerre de 14... Il ne s'est pas marié, n'a pas eu de descendance... Je suis peut-être le seul à avoir conservé des petites choses de lui et à regarder parfois cette photo... Ce visage m'a toujours été familier... Je me regarde tous les jours dans son miroir...
Il y a quelques jours, j'ai eu envie de relire l'homme aux pistolets, de James Carlos Blake, grand romancier lyrique américain, dans le sillage de Cormac Mac Carthy. (J'ai relu récemment crépuscule sanglant, stupéfiant...) J'avais trouvé il y a quelques mois cette belle photo de John Wesley Hardin, l'homme aux pistolets en question. (Pour une fois, le héros de l'Ouest n'avait pas l'air d'un bouseux ou d'un demeuré...) Une certaine élégance farouche... Hier encore, en faisant la vaisselle, j'y repensais, me demandant pourquoi je n'avais jamais vu de western relatant la vie tumultueuse de Wes Hardin, alors qu'il était sans doute le hors-la-loi le plus photogénique de cette époque... Et puis, cet-après midi, comme par enchantement, je tombe sur the lawless breed, de Raoul Walsh... Enfin!... Bon petit western du grand Raoul... Bien sûr je n'ai pas retrouvé ce souffle sauvage du roman de Blake, mais on ne peut pas reprocher au Raoul Walsh des années 50 de ne pas faire du Peckinpah... Non, Wes Hardin, même s'il semblait avoir des côtés fort attachants, n'était pas vraiment le gendre idéal... Il a commencé sa carrière à quinze ans en truffant de balles un noir qui lui avait mal parlé... Il était très raciste, comme beaucoup de Texans de cette époque... Après le pénitencier, ça ne s'est pas terminé en happy end comme dans le film de Walsh... Il était querelleur et violent, il avait ça dans le sang, il a fini par se prendre une balle derrière la tête, dans un bouge, à 42 ans... avec autant de cadavres que d'années à son compteur... C'est bien fichu, tout de même, on passe un bon moment, on fait juste un peu la fine bouche parce que Walsh nous a habitué à souvent beaucoup mieux... Rock Hudson est très bien... J'aime bien le duel avec Lee Van Cleef dans un tourbillon de poussière... Peut-être que ça va un peu trop vite à mon goût, qu'il y a un peu trop d'actions en seulement une heure vingt... que ça aurait mérité d'être un peu plus étoffé... étiré... je ne sais pas comment dire... Ce qui m'emporte, dans the big trail ou encore the tall men, et d'autres westerns du même Raoul Walsh je ne vais pas quand même dresser une liste mais je pourrais ajouter une corde pour te pendre, et que je n'ai pas trouvé ici, une sorte de densité du temps, ce sont des ballades, des cheminements... L'action et le temps fusionnent dans un souffle contemplatif... The lawless breed est de toute autre nature... Le scénario et le découpage prennent peut-être le pas ici sur la mise en scène et on a parfois l'impression que le souffle est un peu court...
mardi 10 novembre 2009
L'hiver, souvent, je chôme. J'aime bien. Je suis un peu ours. J'hiverne. J'ai un bon et joli poêle Auer. (J'aime le ronflement paisible du poêle, l'hiver...) Les après-midis sombres et froids, sur mon canapé, je m'emmitoufle dans ma couverture écossaise un peu miteuse, ma théière à portée de main, Mouchette ronronnant sur mon ventre, je me tape un bon petit western. (Hier, c'était le formidable the texas rangers, du King Vidor, la veille c'était the man from Alamo, du Budd Boetticher... Que des pépites...) C'est chouette, Canyon Passage... Normal, c'est signé Jacques Tourneur... Jacques Tourneur, ça sonne en moi comme Otto Preminger, ou Robert Wise... Il va y avoir du cinéma, ça veut dire... De la belle ouvrage... Le technicolor automnal exalte la rousseur de Susan Hayward, tout autant sensuelle que dans Garden of Evil que j'ai revu aussi récemment, grand western du grand Hathaway. Le technicolor adorait les rouquines. (On a la chance, aujourd'hui, en dvd, d'avoir accès à de très belles copies. Je viens de m'offrir deux petits coffrets universal indispensables : classic western round-up, en zone 1, pour 3 francs 6 sous, sur amazon uk... Les copies sont toutes très belles, ce qui n'est pas toujours le cas des copies diffusées dans nos contrées...) J'aime le jeu toujours très sobre de Dana Andrews. C'est un film qui gagne à être revu, pas si simple qu'il en a l'air. Plusieurs triangles amoureux, notamment... Ward Bond, en brute épaisse, est fameux et sa fin pathétique. Les indiens massacrent abondamment, femmes et enfants inclus, mais on comprend bien pourquoi... Et puis, il y a un rythme... Ce n'est peut-être pas aussi mémorable que out of the past, ou cat people... On prend peut-être un peu plus son temps, ici, il y a une sorte de paresse que j'aime bien, un genre de ballade...
Quand j'avais vingt ans, je ne jurais que par John Cassavetes. Aujourd'hui, je me sens plus proche d'un Paul Newman, par exemple. (Les acteurs, souvent, quand ils passent derrière la caméra, font des films extraordinaires.) Dommage qu'il n'en ait pas fait plus, Paul Newman... Même s'il aurait aussi pu se contenter de n'en faire qu'un, Rachel, Rachel, comme Charles Laughton a fait la nuit du chasseur. (J'aime beaucoup aussi le clan des irréductibles... Lee Remick y est tellement belle... Ah... Lee Remick... la grâce absolue... Il faut la voir dans le fleuve sauvage... dans le jour du vin et des roses... autopsie d'un meurtre...) Newman réussissait à capter quelque chose d'indéfinissable, de tellement infime, qui a peut-être à voir avec l'âme... Sans jamais juger, ni se moquer, ni donner en spectacle... On a le privilège d'être là, de pouvoir assister à ça, on se fait tout petit... C'est de l'émotion... Ce n'est pas du tout glamour, c'est juste humain... Tout est tellement juste... Sans effets de style, même s'il y a du style, ou plutôt peut-être : parce qu'il y a du style... (Il suffit de voir comment, en à peine une minute, au début du film, en quelques plans vides, le décor est planté...) Elle est bien seule, Rachel... dans son lit de petite fille... (Moi aussi, j'ai vécu longtemps avec ma mère...) La vie est tellement pesante... On étouffe... jour après jour... tout est toujours pareil... On dirait qu'il n'y a pas d'issue... Et pourtant... Mais non... Il voulait juste passer un moment, Rachel... Ce n'est pas si grave... Si?... C'est déjà bien, juste un moment, non?... Mais... alors...
dimanche 8 novembre 2009
J'aime beaucoup the gunfighter. Il me semble qu'on a toujours un peu négligé Henry king. Tous les films de lui que j'ai vus sont formidables. Son Jessie James, par exemple, est bien supérieur à celui de Nicholas Ray. Le cygne noir est l'un des plus beaux films de pirates que j'aie pu voir. Henry King était un esthète. Trop classique? Le duel au début de the gunfighter préfigure celui entre Randolph Scott et Lee Marvin à la fin de 7 hommes à abattre, de Budd Boetticher. C'est du grand style. Pas besoin d'en faire des tonnes... La photographie d'Arthur Miller est magnifique, ses cadrages et ses mouvements d'appareil toujours justes... (On devrait plus parler des directeurs de la photographie... Que seraient les chaussons rouges ou le narcisse noir sans Jack Cardiff?... Les plus beaux films de Douglas Sirk seraient-ils aussi beaux sans l'œil de Russell Metty?...) C'est en outre un film plein d'émotion retenue, de mélancolie, tout en sobriété. Le héros est fatigué. Il aimerait bien pouvoir se poser, tranquillement, sans qu'un abruti, toujours un peu le même, ait envie de lui tirer dessus. Gregory Peck est impeckable, comme il l'était dans yellow sky, de William Wellman. Lui aussi, Peck, il me semble qu'on l'a un peu vite rangé dans la catégorie bellâtre un peu fadasse, alors qu'il a joué dans tellement de films mémorables, je pense évidemment à duel au soleil, mais aussi à purple plain, le monde lui appartient...
vendredi 6 novembre 2009
Parlons un peu d'age of consent. Je l'ai vu pour la première fois il y a quelques jours et ai déjà envie de le revoir. Un bain de jouvence, ce film, l'avant-dernier de l'immense Michael Powell qu'auparavant j'appréciais surtout quand il était en tandem pour ne pas dire en couple avec Emeric Pressburger. (J'ai un voisin hystérique, grossier et très antipathique qui s'est mis à faire un boucan incroyable qui a coupé le fil de ma pensée, si pensée il y avait... Si son amie, suite à ce qui ressemble à une scène de ménage, pouvait enfin le foutre à la porte, j'en serais ravi...) Où en étais-je... Oui, un bain de jouvence, c'est ça... On dirait un premier film... On est très loin des joyaux fantastiques de ses années Pressburger... La forme est plus libre, la structure moins implacable, on est plus du côté d'Ar... de Jacques Rozier... (Si c'était un film de Jacques Rozier, ce serait peut-être bien son meilleur, avec Maine Océan peut-être quand même... En même temps, ce serait peut-être déjà un peu trop rigoureux, ou maîtrisé, retenu, pour être un film de Jacques Rozier... Oui, c'est confus, tout ça...) James Mason est monstrueux, comme bien souvent et même comme toujours... Ce film est peut-être l'anti-thèse de Lolita... Il n'y a rien de pervers... C'est juste la nature... La sève qui monte, l'envie de peindre (ou faire l'amour?) qui revient , tout est lié... Il faut qu'elle soit toute nue... Là, il est heureux... Le bonheur entre par les yeux... (Les fenêtres de l'âme?) Comme il est peintre, il la peint... Elle est la jeunesse, la pureté, elle a la peau dorée par le soleil, les jambes et les aisselles duveteuses, les hanches larges, les seins lourds comme des fruits gorgés de vie, elle est sauvage, elle est la nature, la Vie... Il renaît... Ce n'est pas que physique, c'est spirituel... Enfin, c'est la même chose, le physique, le spirituel... Il la sculpte dans le sable, au début... Oui, le temps finira par tout balayer, mais on s'en fiche, comme un moine tibétain qui fait son mandala... L'important, c'est l'instant, c'est maintenant, c'est l'impermanence... Il est bien trop vieux pour elle? Il pourrait être son grand-père?... Elle finira par lui faire comprendre, de la plus candide des façons, que ça n'a aucune importance... En fait, il n'est pas vieux du tout... Il est, c'est tout...
lundi 2 novembre 2009
Parfois, il n'y a pas grand chose à dire. C'est beau, c'est tout. C'est un modèle d'équilibre. C'est comme quand on boit un très bon vin. Laissons à d'autres les analyses. Moi, souvent, ça m'ennuie. Mais quand même, il faut le dire, il est légèrement tannique, belle robe foncée, un soupçon de fruits des bois... Il n'y a pas longtemps, j'ai vu soldier blue, en compagnie d'un critique de cinéma. On est allés boire un verre, après, on était à peine sortis qu'il avait déjà tout analysé, un film évidemment qui était une critique de la guerre du Viet Nam, avec un lien évident avec le lauréat... Je me suis dit qu'il avait sans doute analysé le film tout en le regardant... Mais l'avait-il bien vu?... De fil en aiguille, on parle film noir... Il m'envoie encore que Double Indemnity est le prototype du film noir... (Et Fritz Lang, alors, c'est pour les chiens?... n'ai-je pas eu la présence d'esprit de lui envoyer...) Il me parle aussi de pursued, de Raoul Walsh, un grand western psychanalytique, il me dit, que sa prof d'histoire du cinéma adorait... Bon... Ce que j'ai envie de dire : Moi aussi, j'ai joué ma vie à pile ou face... Moi aussi, j'ai tendu un revolver à la femme que j'aimais... Sauf qu'elle ne m'a pas raté...
samedi 31 octobre 2009
Un condamné à mort s'est échappé (ou le vent souffle où il veut) est le film de Robert Bresson qui me touche le plus. Finalement, ses meilleurs films sont des films d'action pure à la gloire de la Main et du travail manuel. (Pickpocket et un condamné à mort s'est échappé, mes deux préférés.) Toute l'attention est portée sur un seul objectif : s'évader. On ne s'évade pas n'importe comment. C'est une suite de petites choses qui s'imbriquent, de petits détails à régler. Ça prend du temps. Il faut être précis, habile, patient. C'est une œuvre à accomplir. Il y a des imprévus. Il faut savoir s'adapter. S'évader. C'est un travail perpétuel, acharné, méticuleux, sans lequel la vie n'a aucun sens, ou plutôt sans lequel on s'avoue vaincu. Il faut sortir. Peu importe ce qu'on fera dehors. L'essentiel c'est de ne plus être ici. Ailleurs, il y aura sans doute d'autres problèmes, ce sera peut-être même une autre prison, mais peu importe, on verra bien. Ce qui compte, c'est la main, c'est le travail de la main. C'est par la main, que le salut viendra et ça me rappelle ces grands peintres de la Renaissance qui peignaient si bien les mains. Dans le trou, de Jacques Becker, autre grand film d'évasion, c'était le corps, qui voulait s'évader. Là, c'est la Main. C'est un grand film mystique. Peindre le dôme de la chapelle Sixtine, ou s'évader, c'est à peu près la même chose. Dommage que Bresson n'ait pas réalisé plus de films d'action...
lundi 26 octobre 2009
De tous les films d'Ishiro Honda que j'ai pu voir, Matango est le plus beau, le plus rigolo, le plus subtilement érotique, le plus intelligent et peut-être aussi le plus subversif. La seule question est peut-être : manger des champignons ou pas. Le héros, à la fin, le seul qui a résisté à la tentation d'en prendre, se transforme quand même en monstre mycomorphe. Sauf que maintenant, de retour dans la civilisation, il est tout seul, le seul de son espèce. Mais pourquoi donc n'est-il pas resté sur l'île des champignons hallucinants? Ils semblaient bien rigoler, là-bas, les champignons. Sa condition humaine valait-elle un tel sacrifice? S'il avait su, avant de fuir l'île, qu'il était contaminé lui aussi... La femme qu'il aimait s'est transformée en champignon... N'aurait-il pas pu continuer à l'aimer?... Il lui avait pourtant dit qu'il ne pourrait pas vivre sans elle... Même si, quand on devient champignon, les choses doivent bien changer, quand on y songe... L'amour, par exemple, est-ce que ça tient encore, quand on est devenu champignon?... Et le désir?... Mais est-ce tellement important?... Maintenant, il est tout seul, en phase de transformation, un peu lépreux, encore un peu humain... Des scientifiques l'observent, de loin, derrière des barreaux... Il est trop tard... Il aurait pu en prendre... Ça avait l'air très bon... Il aurait pu passer toute sa vie à rigoler, au moins...
jeudi 22 octobre 2009
Quelle idée de vouloir rentrer chez soi à la nage, de piscine en piscine... Il n'a pas le choix, voilà pourquoi... Il n'a plus que ça, n'est plus que ça, the swimmer... D'une piscine l'autre... Il est presque tout nu, juste en maillot... Il est tout seul, vraiment tout seul... Mais ce n'est pas grave, au début, car il est beau et fort comme un dieu... comparé à ceux de sa génération... Puis il va se tordre une cheville en se prenant pour un fougueux étalon, puis se prendre un râteau avec une très jeune femme qui l'idolâtrait quand elle était très jeune fille... Il a vieilli... Il ne comprend pas... Plus rien ne marche comme avant... Les gens sont parfois très cruels... Pas de pitié, pas de pardon... Dans le meilleur des cas, ils sont gênés... En tout cas plus personne ne veut de lui... Il ne fait presque plus partie du monde... Même son passé le rejette... Non, il n'était même pas un merveilleux amant... Même pas un père aimé, ou ne serait-ce que respecté... Une caricature, il était... C'est maintenant, qu'il est vraiment beau, tout seul, dans son maillot, cheminant douloureusement vers sa fin...
vendredi 16 octobre 2009
J'étais assis juste derrière Jerry schatzberg, à l'institut Lumière, lors de la projection de the prowler de Joseph Losey. (Je n'étais pas très sûr, alors je suis allé vérifier sur internet.) C'était bien lui. Il était avec une grande et magnifique blonde qui avait un long nez et des dents d'une blancheur éclatante. Parfois, j'ai essayé d'accrocher discrètement son regard... Mais que faisait-elle avec ce vieux?... C'était peut-être sa fille... (Je plaisante...) Beaucoup de charme, Jerry Schatzberg... 82 ans?!!!... (C'était sa petite fille?...) Ils ont dû se tromper, sur wikipédia... Il en fait 20 de moins... J'ai été un peu déçu par le film... Je m'attendais à un chef-d'œuvre... En fait, c'est la toute fin du film, qui m'a déplu... Le type est désarmé, ne menace personne, a bataillé interminablement pour gravir une dune, absurdité totale étant donné que derrière la dune il n'y a rien et qu'il se trouve ensuite coincé par la montagne... Alors, un flic, de loin, le met en joue et le descend juste au moment où il va passer de l'autre côté de la dune... Il n'y a pas de raison... Il ne peut pas s'échapper... Il n'est même pas agressif, ni franchement subversif... C'est juste un loser qui a des rêves de petit bourgeois... En même temps, il valait peut-être mieux pour lui qui ça finisse comme ça, sinon c'était la chaise électrique assurée... Peut-être que le flic était contre la peine de mort alors... Je me suis dit que c'était peut-être le studio, qui avait imposé cette fin... J'imagine mal Dalton Trumbo écrire cette fin... Ça m'a gêné... Ou alors, c'est volontairement absurde... Une fin où son rêve minable se serait entièrement réalisé aurait été bien plus dérangeante, patron d'un petit motel paumé au bord d'une route où passent la nuit des camions, c'est bien pire que se faire tuer en haut d'une dune... Autrement, j'ai beaucoup aimé... l'atmosphère claustrophobique des deux premiers tiers... poussiéreuse et désolée du dernier tier... Et la blonde magnifique au long nez...
mercredi 10 juin 2009
Je t'aime, je te tue. Paroxysme de duel in the sun. On croit longtemps que le fameux duel sera entre les deux frères, sortes d'Abel et Caïn, même si, dans cette histoire, c'est plutôt Caïn, qui a la faveur du Père, un père déboussolé, malade, paraplégique également dans son âme, que l'amour a rendu pleine d'aigreur et de haine... L'amour, c'est toujours le poison... Mais ce duel n'a lieu qu'à moitié. Le vrai duel, c'est entre elle et lui. Ils ne se tuent pas parce qu'ils s'aiment. Ils s'aiment parce qu'ils se sont tués. S'ils ne s'étaient pas tués, ils auraient sans doute continué de se chercher, se haïr, se mépriser, s'humilier... Ça a commencé dès qu'ils se sont vus... Deux bêtes sauvages, indomptables, tellement fières, blessées chacune à sa façon... Leur place n'est pas dans le monde... Ils seront toujours à la lisière... Ils en viennent à se tuer, croyant être animés par la haine... Leur amour n'a jamais su s'exprimer autrement... Il faudra qu'ils se tuent pour le réaliser... Elle rampe interminablement vers lui... Il a besoin de la voir, de la serrer dans ses bras, une dernière fois, mais en fait pour la première fois, la première vraie fois... Il n'y a que cet instant qui compte... Tout le reste est banni... Juste un instant, un baiser, une caresse... le premier baiser, la première caresse, même s'ils sont amants depuis toujours... Le dernier baiser, la dernière caresse... Elle rampe... Ça dure longtemps... Lui, il est trop amoché pour pouvoir la rejoindre... Il l'encourage... My love... Elle souffre... Il lui a toujours menti, mais cette fois elle le croit... C'est beau comme un calvaire... Il faut qu'elle y arrive... Même si ça ne dure qu'un instant?... L'instant, c'est l'éternité... Tout ce qui s'est passé avant, c'était un préambule... Tout sera lavé, dans l'instant, dans les larmes... Le bien, le mal, plus rien n'aura d'importance, tout sera unifié, Un... dans l'instant... sans regret, car il fallait en arriver là, à cet instant, quand les corps et les âmes, après avoir tellement lutté, se retrouvent enfin et se mêlent... sous le soleil... ou plutôt même dans le soleil...
jeudi 4 juin 2009
Il y a toujours quelque chose de mélancolique, dans les films de Billy Wilder. Une jeune femme un peu trop fine, un vieux Don Juan aux yeux de biche. J'ai vraiment compris pourquoi Audrey Hepburn me touchait à la fois tendrement et douloureusement depuis toujours, quand j'ai connu quelqu'un qui avait le même... problème, quoique dans un style bien différent... (D'ailleurs, c'est au cours de cette histoire, que j'ai appris qu'Audrey Hepburn avait ce problème... C'est par cette histoire que j'ai vraiment eu conscience de ce problème et que j'ai commencé alors à croiser beaucoup de femmes qui avaient ce problème... et ça me ramène alors toujours douloureusement, impuissamment, à elle... Quand je regarde cette photo, ce n'est pas seulement Audrey Hepburn que je vois, c'est elle... En plus, elle lui ressemble beaucoup, sur cette photo...) J'étais bien plus âgé qu'elle, un peu comme Gary Cooper dans Ariane (love in the afternoon), que je n'ai découvert qu'aujourd'hui. Je lui parlais parfois de Gary Cooper, d'ailleurs... que j'adore... Son côté féminin... (Dans Morocco, où il fait un légionnaire aux yeux de biche fardés comme ceux d'une princesse du désert, Marlène Dietrich est beaucoup plus virile que lui... Dans Désir, de Borzage, également...)... Je n'étais pas aussi vieux que Gary Cooper dans ce film... et je n'ai jamais vraiment été un grand séducteur aux yeux de biche... Mais je lui parlais de Gary Cooper... On se voyait souvent l'après-midi... J'ai le souvenir d'une sieste très agréable... (On dirait le paradis, elle a dit, ce jour-là...) J'avais acheté des films avec Gary Cooper, dans l'espoir qu'on les verrait ensemble... Des avec Fred Astaire aussi... (J'ai fini par les voir tout seul...) Un jour, je lui ai demandé de deviner à quel acteur on m'avait dit récemment que je ressemblais... Gary Cooper?... Pfff... Mais non, ne dis pas n'importe quoi... Gary Cooper, voyons, si je lui ressemblais ne serait-ce qu'un tout petit peu, tout serait sans doute très différent... Je me dis maintenant qu'elle ne le connaissait peut-être même pas, Gary Cooper... Ah... les jeunes, aujourd'hui... Parfois, dans mon cinéma, je discute cinéma... je me rends compte que certains ne connaissent même pas Gary Cooper... A quel acteur je ressemble? J'ai oublié son nom. Sérieux. Voyons... Non... ça ne me revient pas... Je vois sa tête, il est français, un poil plus vieux que moi... Mais le nom, je l'ai oublié... Je serais même incapable de dire dans quel film je l'ai vu... Il est assez banal je crois, le type qui passe un peu inaperçu... Je l'ai vu dernièrement dans un téléfilm pas si mal où il jouait un type qui disparaissait... Rien à voir avec Gary Cooper en tout cas... A la fin D'Ariane, j'étais tout remué... Comme elle est belle, Audrey Hepburn, quand elle court après le train... Mais je ne suis pas dans le train, hélas... C'est Gary Cooper, dans le train... Moi, je suis le type qui disparaît...