samedi 15 mars 2014

Elle attend. Devant le cinéma. (Le cinéma miteux.) Se demande peut-être si elle fait bien d'attendre. Si elle ne serait pas mieux ailleurs. Ou alors à attendre quelqu'un d'autre. Ou alors personne. À une époque, peut-être, c'était encore romantique, d'attendre devant ce cinéma, mais maintenant : un trou à rats... Je lis : We are such stuff / As dream are made on, and our little life / Is round with a sleep. [Dit Shakespeare.] Ces lignes de Shakespeare ont fait jaillir de moi des livres entiers. [Dit Jean-Paul.] Et moi aussi. De moi aussi. Tous ces livres. Jaillis. Quand même. Mine de rien... Il y a des mites, vraiment. Qui se laissent massacrer dans des claquements de mains à s'arracher les jointures. (Applaudissements assassins.) C'est répugnant, les mites, laissent une poudre grasse dans les mains, dorée. Pas ou peu d'instinct de survie. On les extermine avec dégoût. Elles se laissent faire. Aucun plaisir alors dans le meurtre, pas comme quand on tue un moustique. Que du dégoût. Et une sorte de colère face à si peu de combativité. Et des rats. Et moi, là-dedans. Comme échoué. (Mât fracassé, voile déchirée — chiffon pendouillant — pas une pique d'air sans même parler de vent, mer de vieille huile de friture là-bas.) Je guette. D'un œil. Le Bon. Rêvasse. De l'autre, le Mauvais. Ou le contraire?... We are such stuff... Parfaitement... Chez moi aussi, pas qu'au cinéma, il y a des mites. Et des rats. (Ce n'est pas moi, flûtant, qui les ai ramenés du cinéma ou de chez moi au cinéma : la ville entière, pourrie, en est infestée.) J'entends, au plafond, que ça gratte, parfois même furieusement, un jour je me dis ils vont crever le plafond et tomber chez moi par grappes affamées. Et les mites. Bien grasses. Jusque dans mes rêves. Des rêves miteux. Mites géantes même parfois. Pas toujours. Il y a des périodes où elles reviennent, me bouffent un manteau, se remettent à grignoter le tapis. Je les avais oubliées, puis elles reviennent. Je les extermine. Les yeux furieux quand j'en choppe une. L'écrase alors lentement — masque haineux — entre deux doigts jusqu'à ce qu'il n'en reste rien, qu'une pellicule grasse, sale, sur mes doigts, ce qui était une vie, quand même... une vie... Les phéromones. Des plaques de glu. Elles viennent s'y coller. Le sexe. L'appel du sexe. Il n'y a que ça. Instinct de survie : zéro — tout pour le sexe. Elles ne pensent qu'à ça, si elles pensent. Et la fille, devant le cinéma, peut-être aussi, si elle pense. Pense-t-elle?... Ne plus acheter de vêtements en laine... Ne plus rien avoir en laine... N'avoir plus que des meubles en cèdre rouge... (Et puis c'est beau, le cèdre rouge, tu ne trouves pas?...) Reprendre un chat, un jour... Les rats grattaient moins, quand il y avait un chat... Printemps précoce : la ville sent des pieds... Les gens sourient, ils sont heureux, agglutinés, bourdonnant sous cette cloche empoisonnée, les gens... Et le soir, une fille attend, devant le cinéma miteux, dans son manteau en laine...