jeudi 18 décembre 2014

Le mieux, quand on est sur un chemin, c'est de tomber sur un cul-de-sac. Le chemin s'arrête. On ne peut pas aller plus loin. C'est fini. Parce que la plupart des chemins ne mènent nulle part, il est bon de tomber sur un cul-de-sac. Une petite cabane en planches, un refuge, une tanière, qu'espérer de mieux? On s'arrête. On pousse la porte qui grince, lâche son sac dans un coin dans un nuage de poussière, s'allonge sur une paillasse les mains derrière la nuque, des petits oiseaux sifflent dans les branchages, on pousse alors un petit roupillon. Relâché. En paix. On ne peut pas aller plus loin. Mais pourquoi irait-on plus loin? Parce que pour beaucoup la vie est dans le mouvement et que le bonheur se poursuit. Ils courent du matin au soir et de la naissance au tombeau après une petite lueur qui n'est que très rarement dans leurs yeux. C'est triste. Certains passent me voir, de temps en temps, me disent que j'ai de la chance, même si je sens qu'ils me trouvent misérable, arrêté, déjà mort. Et tu fais quoi pour les vacances? Eh bien, ma chère, mon cher, j'ai décidé depuis longtemps d'être toujours en vacance, c'est à dire de ne pas être là. Comment pourrais-je avoir besoin ou même seulement envie d'aller ailleurs si j'y suis déjà? Je n'ai alors rien à fuir. Et tout me semble alors exotique. Je trimballe ma cabane avec moi comme un brave escargot. Depuis tout gamin, il faut dire, je suis passionné de cabanes. J'en faisais, jadis, dans les bois, me préparant déjà à l'exil. J'avais un couteau, de la ficelle, des clous, des allumettes, de quoi aller à la pêche, tout ce qu'il faut, en somme. C'était mon apprentissage, mon initiation. Maintenant je n'ai plus besoin de couteau, de ficelle, de clous ou d'allumettes. Ma cabane me suit là où je vais. C'est à dire que même dans le mouvement, j'ai fini par être statique, en quelques sortes, toujours dans ma cabane à plus ou moins roupiller, ou parfois aux alentours à éclaircir un peu la nature qui sinon m'étoufferait.

mercredi 17 décembre 2014

Tu vois? Je suis passé par là, un jour. Je pourrais même te dire le jour et même l'heure et même la minute et la seconde de cet instantané. Peut-être même la géolocalisation, latitude, longitude, tout... Mais tu t'en ficherais pas mal, non? Et tu aurais bien raison. On ne peut plus rien faire, aujourd'hui, sans que tout soit précisément enregistré, fixé. Chaque regard à la fois capte et est capté. Tout ça vient nourrir une mémoire inutile qui ne cesse de grossir, sans discernement. Grossira-t-elle comme ça infiniment? On pourrait ainsi cartographier une vie, suivre presque pas à pas un cheminement, un destin. Ça a quelque chose de fascinant et en même temps de complètement déprimant. C'est triste. Ce monde est triste. Cette volonté de tout vouloir garder, noter, classer, cartographier, est triste. Parce que la vie nous fuit, nous traverse fugacement sans jamais vraiment nous emplir. Parce que le Temps. Bientôt il ne restera plus rien de moi. Mes joies, mes peines, mes petites misères très banales, tout alors disparaîtra. Puisque je disparaîtrai. Plus rien non plus de ce monde, qui n'est pas plus éternel que moi, ne restera. Mais cet instant, cet instantané, je m'y arrête, je décide alors d'en effacer toute trace temporelle ou géographique, d'en faire un cliché à l'ancienne, si on veut. Tu vois? Je suis passé par là, un jour, je ne me souviens plus quand, je ne me souviens plus où. Quelle importance... Un petit chemin au bord de l'eau... C'est mon chemin... Tu vois, cette lueur, au bout?... Évidemment, en avançant, tout se dissipe, et disparaît la lueur... C'est pourquoi il est bon de s'arrêter, de se leurrer, figer le moment et la scène comme si le cheminement n'avait jamais eu lieu et qu'il n'y avait alors que le chemin... Tout n'est que déception, au bout, forcément, c'est pourquoi il est bon de s'arrêter, pour contempler le chemin, rêvasser... Il faudrait savoir alors ne plus avancer...

mardi 16 décembre 2014

Tu te souviens? Non, je ne crois pas. D'ailleurs je me demande pourquoi je te pose cette question puisque je sais que tu ne l'entends pas et que si tu l'entendais tu ne la comprendrais pas. Parce que tu n'es pas là. Parce que même si tu étais là, tu ne serais pas là. Parce que tout bonnement tu n'es nulle part. C'est d'ailleurs pourquoi je ne te pose pas la question et que je me la pose alors plutôt à moi, histoire de me causer, surtout, parce que je me cause. De quoi te souviendrais-tu? D'ailleurs, autrefois, tu n'étais pas là non plus. Je croyais que tu étais là, ou plutôt je ne me posais pas la question de ta présence, car il y avait une évidence, je croyais, ou plutôt je ne croyais pas, car il n'était jamais question de croire ou de ne pas croire, c'était une évidence, ta présence, tu étais là, il n'y avait pas de raison d'en douter ou de n'en pas douter, car tu étais là, même si tu n'étais pas là. Où étais-tu alors si tu n'étais pas là? Là aussi je pose une question que tu ne peux pas entendre. Non seulement là, maintenant, tu ne peux pas l'entendre, mais à l'époque, non plus, tu n'aurais pas pu l'entendre, puisque tu n'étais pas là. Et où es-tu maintenant? Tu me regardes. Tu ne comprends pas. Tu fronces ton joli front. Sauf que je ne suis pas là. Tu crois m'entendre et me voir, mais je ne suis pas là. Et pourtant, je suis bien plus ici qu'ailleurs. C'est même ici que je suis le plus moi. Là tu comprends encore moins. Mais comme tu ne comprenais déjà rien, comprendre moins que rien ne doit pas changer grand chose à ton incompréhension. C'est juste que je me cause. Tu crois peut-être que je te cause, mais en fait c'est juste à moi que je cause, parce que je me cause, c'est comme ça, depuis toujours je me cause, parfois je me leurre en faisant mine de causer à d'autres mais c'est bien toujours à moi-même que je cause, parce que je crois être le seul confident valable et même possible, le seul à vraiment entendre que tout ça n'est que du vent, un chuchotement sur le vent, voilà, et que ça ne dure que le temps que dure le vent.

lundi 1 décembre 2014

Tandis que Slow Joe s'épuise lentement à tenter d'ouvrir son parapluie automatique, je m'interroge quant à moi vainement sur le sens de ma vie, sur le sens de cette journée à l'image de ma vie, sur le sens de tout ça, de Slow Joe, des parapluies automatiques qui sont censés vous simplifier la vie mais finalement ne vous apportent que des tracas, des petits tracas, plus d'autres petits tracas, puis encore d'autres petits tracas qui s'agglomèrent ça finit par faire une vie, une petite vie ou une grande vie c'est selon, une petite grande vie ou une grande petite vie, je me dis aussi que bientôt je ne verrai plus Slow Joe, qu'il n'y aura donc plus de Slow Joe, non pas que Slow Joe va déménager ou disparaître, il va poursuivre sa routine de Slow Joe, que je commence à bien connaître, il est habitué d'une gargote Place Sathonay qui doit lui rappeler les bouibouis de Bombay et chaque matin il donne la main pour installer les chaises, il va donc continuer et c'est moi qui vais disparaître, au moins un certain temps, il n'y aura plus de cinéma fantôme, plus donc non plus de projectionniste ou de caissier fantôme, de guetteur, car il y a un nouveau patron, du genre très dynamique, très médiatique, un genre de Roi Soleil qui aurait déclaré : Le Cinéma, à Lyon, c'est Moi!... et alors ils vont ravaler la façade, au moins changer l'ampoule de l'enseigne grillée depuis au moins quinze ans, tout remettre aux normes comme on dit, ça prendra donc un certain temps et rien ne dit que je reviendrai plus tard à cette même place, avec ce même état d'esprit, cette tranquillité mine de rien dans le naufrage, mon naufrage dans ce naufrage, car ce sera sans doute plus difficile de me ravaler la mienne de façade et de me remettre aux normes et tout ça qui devrait me rassurer, la remise à flot d'un cinéma qui n'en finissait plus de couler, finalement me désole, tant je me sentais à ma place dans cette interminable agonie.