"Oh putain, comme c'est beau!" me suis-je exclamé plusieurs fois tout haut en découvrant la fille des marais, de Detlef Sierck. A la fin, j'avais des grosses larmes qui roulaient sur mes joues. J'étais heureux, comblé par cette merveille de 1935 d'un jeune cinéaste allemand qui serait bientôt plus connu sous le nom de Douglas Sirk. J'imaginais que Sirk, dont je suis inconditionnel, s'était révélé à Hollywood. Je craignais un peu, avant de voir ce film, de tomber sur une vieillerie préhistorique, uniquement intéressante d'un point de vue la jeunesse de l'artiste, produite qui plus est dans un pays qui était sous le joug nazi depuis deux ans... Je me rends compte maintenant qu'il existait bien avant Hollywood et qu'il y avait déjà tout, avant, quand il était à la UFA. Même si ce n'était que son deuxième film, il avait déjà 35 ans, une solide expérience du théâtre (comme Preminger), une sensibilité nourrie d'une grande culture classique, un grand raffinement qui fait tellement défaut depuis quelques décennies... Il n'y a rien de maladroit, d'approximatif, de débutant, dans ce film... On sent une grande maîtrise, un art visuel hérité du Muet... (Je repense à ce que disait Peter Bogdanovich à propos d'Allan Dwan et de tous ces cinéastes classiques qui venaient du Muet... J'entends la voix nostalgique de Dwan évoquant le Muet : "C'était du rêve...") Certains plans sont à couper le souffle... (Tous ces miroirs... déjà...) J'ai parfois pensé à city girl, de Murnau, pour le lyrisme, la poésie onirique de certains plans, l'élégance, le sens du rythme. (Si l'on considère que les deux grands pionniers du cinéma allemand sont Fritz Lang et Friedrich Wilhelm Murnau, Douglas Sirk serait plutôt enfant de Murnau que de Lang...) J'ai pensé aussi à Mizoguchi. A Dreyer, en moins sombre... Mais j'ai pensé surtout à Douglas Sirk... Je me dis que si l'Allemagne n'avait pas sombré dans le nazisme, le cinéma allemand aurait été immense, quand on songe à tous ces artistes germaniques qui fuirent l'Europe et firent la gloire d'Hollywood, Lang, Preminger, Wilder, Siodmak, Ulmer... (Sans parler des éxilés volontaires des années précédentes, Von Stroheim, Murnau, Lubitsch, Von Sternberg...) S'il n'y avait pas eu cette tragédie, Detlef Sierck serait sans doute devenu l'un des plus grands cinéastes allemands, peut-être même plus grand que Douglas Sirk... Ça saute aux yeux... Mais Detlef Sierck, cinéaste pour le moins prometteur, a disparu dans les oubliettes de l'Histoire... (Le nazisme lui a même ravi sa femme et son fils...) Après moultes péripéties, plusieurs exils, il s'est retrouvé en Amérique, pour survivre a fait le fermier, l'éleveur de poules, sans aucune aigreur, semblait même garder des souvenirs émus et joyeux de cette époque difficile... C'est seulement en 1943, que Douglas Sirk a pu faire son premier film, Hitler's mad men...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire