jeudi 30 avril 2009

Dans ses films tardifs, John Ford a peut-être eu besoin de régler ses comptes avec l'Amérique blanche et son histoire. Lui qui passait pour un conservateur, voire un réactionnaire, était en fait tout le contraire. En tant qu'Irlandais, il s'était longtemps senti considéré comme une sorte de nègre blanc. Qu'il ait joué un cavalier du Klu Klux Klan dans naissance d'une nation ne voulait pas dire qu'il avait quoi que ce soit de commun avec ces gens-là, pas plus que Raoul Walsh n'a désiré assassiner Lincoln ni encore moins se casser la cheville en sautant du balcon du... Ford's theater, où Lincoln fut assassiné. Dans Cheyenne autumn, Ford ne parle de rien d'autre que du génocide des Indiens d'Amérique. Dans Sergeant Rutledge, nous n'assistons pas au procès du sergent noir, mais à celui de l'Amérique toute blanche. Quel est son crime, finalement? D'être de très loin le plus beau mâle, le plus bel animal, sans doute le plus secrètement et violemment désiré des femmes (ce qu'il était d'ailleurs dans la vie...) et pour cette raison la cible de la haine des petits blancs envieux. S'ensuit forcément un crime sexuel... (Woody Strode est magnifique. Quel dommage qu'il n'ait pas eu plus de rôles conséquents, car il déchirait l'écran, évidemment dans Spartacus, les quelques minutes du début de il était une fois dans l'ouest, inoubliables, quand il boit dans son chapeau... dans les professionnels...) Là, il n'est pas le bon nègre, à la limite du très gênant, comme dans l'homme qui tua Liberty Valance. Il n'est pas non plus un dangereux Black Panther. Il est pour l'intégration, tout en étant lucide. On ne se bat pas pour les blancs, mais pour notre fierté. Il est noble, courageux. A un moment, il hausse le ton et on sent toute l'indignation qui dormait en lui, toute l'émotion. Trop approcher une femme blanche est dangereux. Un jour, cela changera... Cela a-t-il changé? Considérons le pourcentage des noirs dans les couloirs de la mort... Ils ont maintenant un président noir? Attendons un peu pour voir... J'aurais aimé être dans une salle de cinéma, en 1960, quand Sergeant Rutledge est sorti, en Alabama ou même n'importe où en Amérique, même à New York la progressiste où, quand même, Miles Davis, qui était depuis longtemps un dieu vivant du jazz, fut sévèrement passé à tabac à l'entrée d'un grand hôtel juste parce qu'il n'était pas de la bonne couleur. Ce n'est pas le plus beau western de John Ford. Ses plus beaux, je pense à my darling Clementine, stagecoach, Fort Apache, il les avait faits depuis longtemps et n'avait plus grand chose à prouver. C'est juste qu'il fallait mettre les choses au point, une fois pour toutes, au terme de ce long chemin.

jeudi 9 avril 2009

Barbara Stanwyck et Fred Mac Murray formaient au cinéma un couple aussi magnétique pour moi et même plus que Gene Tierney et Dana Andrews. Dommage que (à ma connaissance) ils n'aient tourné que deux films ensemble, deux chefs- d'œuvre absolus, Double Indemnity, de Billy Wilder et there's always another tomorrow, de Douglas Sirk. Je ne me souviens autrement de Fred Mac Murray que dans la garçonnière, du même Billy Wilder, où il est également formidable, mais dans un second rôle. C'est aux côtés de Barbara Stanwyck (qui elle est toujours extraordinaire, je me souviens de la dominatrice bottée de cuir menant au fouet sa horde de cavaliers lubriques, transmutée en midinette dans forty guns, de Samuel Fuller, dans l'emprise du crime (the strange love of Martha Ivers), de lewis milestone, l'homme de la rue de Franck Capra, Pacific express de Cecil B. de Mille et tant d'autres merveilles...) qu'il devient vraiment inoubliable. Il est une sorte de golem, massif, inexpressif, une matière brute, minérale, elle lui insuffle la vie... Il y a vraiment quelque chose de poignant, là-dedans... (Ça me fait penser alors à Victor Mature, cet autre grand golem, tellement émouvant, quand il est bien dirigé... (my darling clementine, la proie, easy living, Ford, Siodmack, Tourneur...)). Barbara Stanwyck est une de mes actrices préférées, pas tellement pour le glamour, je n'ai jamais fantasmé sur elle, l'ai même parfois trouvée carrément repoussante, monstrueuse, car elle osait l'être, mais pour ce qu'elle a apporté à tous ces films qu'on ne pourrait pas imaginer une seule seconde sans elle, une sorte de générosité aussi qui faisait que son énorme talent irradiait son partenaire sans jamais le consumer. Je l'aime, en fait, Barbara, j'aimerais la prendre dans mes bras, et lui dire... Barbara... comme tu es... Barbara... regarde-moi ne serait-ce qu'un instant, pour que j'existe au moins un peu... Tu es monstrueuse, tu es belle, tu me fais peur, tu es tellement douce aussi, fragile, au fond, pathétique, Barbara, tu es malade, pourrie jusqu'à la mœlle, tu es très conne parfois aussi, tu es... Tout... Elle était le contraire d'une star obsédée par son image et qui ramène tout à elle. Je dis ça avec certitude alors que je ne connais pas du tout sa vie, n'ai jamais rien lu sur elle. Et c'est la vérité. Elle a rendu immortel un Fred Mac Murray qui autrement n'aurait été vaguement mémorable que dans des petits rôles. Dans Forty guns, elle est entourée, le plus naturellement du monde, d'acteurs de séries B et sa grande classe illumine leur jeu, ils ne sont jamais dans son ombre. Je n'en vois pas tellement d'autres, des stars hollywoodiennes comme ça. Qu'elle soit avec Gary cooper, un débutant nommé Kirk Douglas, ou un parfait inconnu, elle est grandiose. Avec Fred Mac Murray, c'est encore autre chose, dans ces deux films-là, c'est un vrai couple, tragique, et même fantastique... c'est tellement rare... Barbara et le Golem...