lundi 15 décembre 2008

J'ai aimé, 20 ans plus tard, revoir let's get lost. Il y a 20 ans, je n'avais vu que le délabrement, Chet Baker en phase terminale, je l'avais trouvé sordide, pathétique, peur constante que son dentier se décolle au milieu d'une chanson, j'étais ressorti du cinéma tout poisseux, misérable. Aujourd'hui, plus du tout. Un film sans fard, riche de points de vue, tendre. Chet Baker magnifique du début à la fin, égoïste, doux, malheureux, manipulateur, à bout de souffle, un attachant salopard tout écorché, un type qui au début avait une tête de cow boy et d'indien à la fin, un vrai rebelle sans cause mais avec trompette qui était un peu aussi sa canne. Toutes ces femmes magnifiques dans sa vie, toutes très différentes, la douce, la chienne, la maman et la putain... J'ai toujours aimé Chet Baker, profondément. C'est un peu Billie Holiday en garçon, quand il chante. Parfois, même, si on ferme les yeux, on dirait une femme. Chet Baker était trompettiste et chanteuse de jazz. Et puis il n'était pas plus délabré à la fin qu'au début. Il était comme ça. S'il n'avait pas existé, Miles Davis n'aurait peut-être pas joué comme il a joué. Si Miles Davis n'avait pas existé, ça n'aurait absolument rien changé, pour Chet Baker. Dès qu'il l'a entendu, Charlie Parker a voulu jouer avec ce petit blanc édenté. Les princes de la défonce. Sa drogue préférée? Celle qui fait peur à tout le monde, le speedball, un mélange d'héroïne et de cocaïne. Il dit ça comme il dirait qu'il aime la glace à la pistache. Il n'a pas appris à jouer. On lui a mis dans les mains une trompette, il a trouvé ça chouette, rien de plus, rien de moins, il a soufflé dedans. Il est mort en tombant du balcon d'une chambre d'hôtel à Amsterdam. Ça lui va bien, finalement. Il est tombé, c'est tout... dans un moment d'égarement, une absence... Il n'a peut-être même jamais eu conscience qu'il tombait tellement tomber lui était naturel. Je l'imagine mal se mettre à battre des bras et des jambes dans le vide en hurlant comme un indien qui tombe d'une falaise dans un western... Non, il devait être assis sur la rambarde, pensif, on dira... et il a basculé, doucement, presque au ralenti, avec cette même expression que sur la photo, qu'il a gardée tout du long, une cigarette continuant de se consumer entre le majeur et l'index jusqu'au moment peut-être où la brûlure le fera sursauter, se tenant à sa trompette avec l'air de se masturber, juste un peu décoiffé peut-être, la mèche au vent... Have a good trip Lady!

dimanche 14 décembre 2008

Elle n'a pas voulu que je garde de photos d'elle. Ça m'a tellement blessé, sur le coup, que j'ai jeté toutes mes photos, à la fois désolé et soulagé de me débarrasser de son image, même quand elle était très jolie, après sa douche, vêtue d'une simple serviette, plus une deuxième autour de la tête en turban, se brossant les dents, me regardant de façon tellement étrange, à la limite de la sauvagerie, la bouche moussue de dentifrice, c'était le dernier jour... J'en ai "oublié" une. Ce n'est qu'une main. Une main gauche, en plus. Je ne suis même plus sûr que ce soit la sienne. Elle pourrait être sortie d'un tableau de la renaissance. C'est pour ça que j'ai "oublié" de la jeter. Pour moi c'est plus qu'un simple membre appartenant à quelqu'un qui m'a fait quelque chose. Il faut dire que j'ai toujours beaucoup aimé les mains (ainsi que les pieds d'ailleurs) qui en disent parfois plus que les visages, qui disent en tout cas autre chose que le visage ne dit pas forcément, un truc mystérieux, pour moi, pas vraiment racontable, quelque chose qui nous échappe, qui nous émeut, de très ancien. Ça ne ment pas, une main... Quoique... en y réfléchissant... je n'en sais trop rien... Moi, par exemple, tellement focalisé sur les mains (et sur les pieds, qui sont aussi des mains, des mains qu'on aurait oubliées...) il m'est sans doute très souvent arrivé de les mettre en scène, mes mains, pour qu'on sache enfin mais de façon discrète quel type formidable je suis, de quelle nobl'âme je suis doté, même si certainement personne n'a remarqué mon petit théâtre de mains... Je suis un poseur, ça s'est sûr, à ma façon, je fais avec mes doigts à peu près ce que Cyd Charisse faisait avec ses jambes... Elle est sacrément belle cette main, en tout cas, je trouve, même si on peut finir par la trouver monstrueuse, si on la regarde trop longtemps, trop intensément. On croirait un être vivant à part entière. Je pourrais écrire des milliers de pages, juste sur cette main, ce que je vois, ce qu'elle me dit, ce qu'elle m'apprend sur le monde, sur la vie. Je pourrais presque la saisir (je sens qu'elle a froid) pour la réchauffer, je sens son faible pouls. Peu importe finalement qu'il y ait un bras, dans le prolongement, et même un corps tout entier et une personne qui l'habite. Elle me parle, cette main, elle m'est chère, en elle-même. Ce n'est pas une photo d'elle. Ce n'est pas son image. Dans ce sens, j'ai respecté sa volonté, même si ce n'était peut-être que simple méchanceté impulsive de sa part, pour se venger, pour me blesser, je me suis dit. Ce n'est pas un souvenir, même si je me souviens du jour où je l'ai prise, la photo. C'est une main. Elle prend bien la lumière. A un endroit, on dirait presque qu'il y a un miroir. (Qu'y a-t-il dedans?) Elle est vivante, cette main... Ça me rappelle le jour où j'ai bu un café à une buvette en bord de Saône, en face du Palais de Justice, à côté du premier greffé des mains, quand il est revenu à Lyon pour les rendre. Vos mains, vous pouvez les reprendre, je n'en veux plus, elle ne me vont pas du tout, je les ai même en horreur, si vous voulez savoir... Il semblait soulagé, on pouvait même dire qu'il rayonnait, avec ses deux moignons qu'il agitait devant lui comme des trophées. Il ne s'était jamais habitué à cette présence étrangère. (Je ne sais pas ce qu'ils ont fait des mains, après...) C'est tellement personnel, intime, une main... Tiens, je verrais bien les mains d'Orlac, je ne l'ai jamais vu, j'ai toujours eu envie de le voir, je suis sûr que c'est bien...

samedi 6 décembre 2008

Pour moi aussi la vie est une succession de plans séquences liés par des fondus au noir qui sont comme de longs clignements de paupières. Parfois les personnages sortent du champ et on ne les suit pas, car ils ne faisaient que passer. Stranger than paradise. Il y a quelque chose de préraphaélite, dans ce film. Je pense à Giotto, je ne sais pas pourquoi. Et à Ozu. Aux films Lumière aussi. Quelque chose de primitif, de primordial. Un film qui ne ment pas, dans un monde où Griffith et Eisenstein n'auraient jamais existé. Et pourtant un film très moderne, quand il est sorti, je me souviens, et encore aujourd'hui. C'est comme si Giotto avait vécu deux siècles plus tard et avait malgré tout peint de la même façon. C'est un peu tiré par les cheveux, oui, c'est même un peu n'importe quoi. Le cinéma n'est pas la peinture. Et Jim Jarmusch n'est pas Giotto. C'est peut-être son plus beau film. Je ne l'avais pas revu depuis sa sortie. Ça me rappelle un autre road movie. On était partis d'Annecy en deux chevaux, pour aller à Genève, en hiver. Aurélio conduisait. Anne était très jolie genre Marina Vlady et s'était mise à chanter une chanson d'Edith Piaf. Moi j'essuie les verres, au fond du café... J'ai bien trop à faire, pour pouvoir rêver... Nos cols étaient remontés, car il faisait froid. On était au bord de l'ennui, mais juste au bord et ça avait quelque chose de magique. Comme dans stranger than paradise. Il ne se passe pas grand chose en fait, mais on est bien, non? On se croirait un peu dans stranger than paradise, j'avais dit. Ils m'avaient regardé d'un air blasé. Et ils n'avaient pas tort car dès que j'avais le cul dans une voiture je disais : on se croirait dans stranger than paradise. Sauf que cette fois, c'était vrai. Et Giotto, il faisait des road movies? Ah... foutez-moi la paix... D'ailleurs oui, il en faisait, et pas qu'un peu, si vous voulez savoir... Les meilleurs road movies que j'ai vus, c'est Giotto qui les a faits, pour en finir avec cette histoire.

mardi 2 décembre 2008

Je ne me souvenais pas qu'Alice dans les villes était un si beau film. Je l'avais vu à vingt ans et m'étais un peu ennuyé. Plus de vingt ans plus tard c'est comme si je le voyais pour la première fois. Ce que faisait Wenders, quand il faisait encore du cinéma... Un film plein de grâce qu'on peut voir sous des angles très différents, un road movie, un film sur l'enfance perdue retrouvée, sur l'abandon, la quête de soi, des paysages avec des gens dedans... Il y a une liberté, dans ce film, une allégresse, une jeunesse... Il a plus de trente ans, ce film... Dans un motel, on the road, au début, à la télé, on passe young Mr Lincoln, de john Ford, entrelardé de publicité, de tout et de n'importe quoi, une espèce de bouillie visuelle et sonore... A la fin, dans un train pour Munich, on apprend dans le journal que John Ford est mort. C'était en 1973. Ça sonne un peu comme "Dieu est mort". John Ford est mort, ça fait drôle d'apprendre ça, après ce long périple, c'est un peu la conclusion du film, John Ford est mort... dans la fiction, dans la réalité... Et alors? Et alors rien, il est mort, c'est tout... Qui ça? John Ford... celui qui a fait young Mr Lincoln, entre autres... Il aimait beaucoup les paysages lui aussi, surtout le désert, il filmait sans arrêt les mêmes montagnes, les "mitaines", que l'on voit partout, comme une signature... Alors, ils chevauchent deux ou trois jours, se retrouvent de nouveau devant les "mitaines"... Bien... Alors, les "mitaines"... elles se déplacent?... Peut-être, oui... Ou bien ils n'ont pas avancé d'un centimètre, même à bride abattue... Ils étaient sur des chevaux en bois... Les paysages, finalement, c'est dans la tête...

lundi 1 décembre 2008

Quand je suis arrivé à Lyon, il y a 12 ans, j'ai remarqué un type qui traînait toujours dans les rues de St Jean. Il était toujours avec son sac à dos, ses lunettes de soleil d'alpiniste, ses cheveux longs, semblait connaître tout le monde. Un peu plus âgé que moi. Je m'étais dit que ce type était dans la rue par choix de vie, par philosophie, car il semblait bien vivre. Il ne faisait jamais la manche, il y avait toujours quelqu'un pour l'inviter à manger, lui payer un coup, il semblait avoir de la discussion, être sympathique, soigné. Puis je ne l'ai plus vu. Je l'ai retrouvé bien des années plus tard, quand j'ai changé de quartier. Maintenant il fait la manche dans ma rue, juste à la sortie du supermarché, il a souvent une bouteille à la main, titubant, parle tout seul en faisant des grands gestes, parfois même il insulte les gens. Il a pris un coup de vieux. A moitié édenté. Ses vêtements sont sales. Plus personne ne s'arrête. Parfois, quand je croise son regard, j'ai l'impression qu'il me reconnaît et qu'il a honte, ou alors il me toise, narquois, car je passe avec mes courses, sur le chemin de mon petit chez moi petit bourgeois. Il y a quelques jours, il m'a demandé un euro et je lui en ai donné deux, je lui ai demandé si ça allait, s'il n'avait pas trop froid, dehors. Il est alors parti dans une tirade sur les gens qui... "s'introvertissent, quand c'est l'hiver..." comme il a dit. On a échangé quelques mots. J'ai eu l'impression qu'il était rassuré de sentir que je ne le méprisais pas, que je lui parlais normalement.

samedi 29 novembre 2008

J'ai passé des années à ruminer un projet qui aurait dû s'appeler l'histoire du rouge gorge. J'étais prêt à consacrer toute ma vie à ce que je considérais, secrètement, comme mon Petit Œuvre, qui n'aurait pas excédé les 15 ou 20 pages. Pour dire que j'étais ambitieux... J'ai noirci des pages et des pages, en vain, retombant toujours dans mes vieux travers, mes vieilles manies, des digressions à l'infini, des phrases qui se perdaient en elles-mêmes, pour finalement toujours revenir à la même histoire, ma pauvre histoire à moi, perdant de vue l'histoire du rouge-gorge pourtant ô combien plus édifiante et poétique. Le projet était pourtant excitant, ne plus se consacrer qu'à cette petite histoire. Comme je n'arrivais pas à l'écrire, par manque d'humilité, de simplicité, de détachement et de style, je la racontais oralement quand j'en avais l'occasion. J'aimais beaucoup raconter l'histoire du rouge-gorge. Ce n'était jamais tout à fait la même histoire. Je prenais mon temps, pour la raconter, au risque d'ennuyer l'auditoire, ce qui fut souvent le cas je crois. Un jour, lors d'un mariage, je l'ai racontée à une jeune femme rousse, élancée, qui avait un petit air de Sondra Locke. J'étais très en forme, un peu ivre, je maîtrisais chaque intonation, je m'aidais de mes mains, mon visage et même mon corps tout entier au service du récit. A la fin, ses yeux étaient tout embués… J'appris un peu plus tard qu'elle était très sensible, qu'elle pouvait pleurer devant un reportage animalier quand la gazelle se faisait attraper par le lion, des choses comme ça, mais quand même, je n'étais pas peu fier... (D'ailleurs, moi aussi il m'arrive de pleurer, quand la gazelle se fait attraper par le lion...) L'histoire du rouge-gorge avait fait mouche... Alors, estimant que tout était dit, j'ai abandonné mon grand petit projet. Peut-être deux ans plus tard, j'ai peint cette petite aquarelle, pour me souvenir du décor de l'histoire du rouge-gorge.

jeudi 27 novembre 2008

Quand Ozu est mort, Setsuko Hara a arrêté le cinéma, sans faire de bruit, on ne l'a plus jamais revue. Ça me met toujours les larmes aux yeux. Qu'est-elle devenue? Elle était l'actrice fétiche d'Ozu, presque depuis toujours, comme Chishu Ryu. Elle avait joué pour Kurosawa, je me souviens d'elle dans l'idiot, dans scandale, pour Naruse dans le repas, et tant d'autres que je n'ai pas vus. Elle était la grande star féminine du cinéma japonais des années 40 et 50, l'égale de Toshiro Mifune. Ozu est mort, elle a tout arrêté. Ils n'étaient sans doute pas amants, quoiqu'on ne sache pas vraiment, même si on n'a vraiment pas envie de savoir. Ce qui les liait était peut-être plus fort que ça. Elle a été la fille, elle a été la mère, la nièce, la tante... Pour Ozu, elle était LA femme, sans jamais être un objet de désir... C'est d'ailleurs difficile de dénicher quoi que ce soit de sexuel dans un film d'Ozu... Les femmes ne sont jamais amantes, c'est très étrange... Le monde est débarrassé de toute pulsion sexuelle... Le regard d'un enfant (pas du tout pervers polymorphe) à hauteur de tatami... Elle n'a pas joué dans le goût du saké, le dernier film d'Ozu... Dans Fin d'automne, antépénultième opus du maître, elle joue grosso modo le même rôle que Chishu Ryu dans le goût du saké... (Entre les deux, il y eut dernier caprice, film un peu décalé dans la filmographie d'Ozu, puisque tout tourne autour d'un vieil homme, libertin, encore très vert, mourant dans le lit de sa maîtresse, comme si Ozu avait voulu brouiller un peu les pistes, vers la fin, ou se jouer un peu de nous... C'est drôle comme on a tendance à oublier ce film, quand on pérore sur Ozu, ou quand on s'en souvient à dire que c'est un film mineur, tellement ça dérange nos théories et quasiment notre vision du monde selon Ozu... Comment Ozu est-il mort, au fait?) J'imagine souvent le jour où Setsuko Hara a arrêté son cinéma... Etait-ce prémédité? Je ne crois pas. Je crois qu'elle n'avait plus aucune raison de continuer, que pour elle, brusquement, le cinéma (et peut-être autre chose) était mort. J'imagine qu'elle a toujours gardé ce sourire, même après. Dans la joie, comme dans la peine, elle avait ce sourire. Et ça me met les larmes aux yeux.
Lester Young sera toujours dans mon cœur. Il m'arrive encore de siffloter Stardust, du début à la fin, 3'32'', la version de 1959, que j'avais apprise par cœur sur mon vieux saxophone, note après note et qui est restée gravée là, qui fait maintenant partie de moi. J'ai mis du temps, à vraiment aimer Lester Young, à vraiment l'entendre. Je ne le trouvais peut-être pas assez brillant, pas assez spectaculaire. Il ne crie pas, ne parle jamais pour ne rien dire, il murmure, le plus souvent, n'a pas peur du silence, il faut tendre l'oreille. Au début, je l'écoutais surtout quand il jouait avec Billie Holiday, il n'existait d'ailleurs pour moi que dans son ombre. Puis je me suis mis à l'entendre et jamais peut-être un musicien ne m'a touché autant. Les personnes qu'il appréciait, hommes ou femmes, il les appelait Lady. C'était la distinction suprême, Lady. Il n'attaquait pas les notes comme la plupart des autres saxophonistes. D'ailleurs, il ne les attaquait pas vraiment, les notes, il les libérait, plutôt. Il était tout autant habité à la clarinette et c'est bien dommage qu'il n'ait pas enregistré plus avec cet instrument, dont il est l'une des plus belles voix, sinon la plus belle. (Je pense aussi à Pee Wee Russell, à Jimmy Giuffre...) Je n'ai jamais entendu une seule note gratuite de Lester Young... Chacune était vivante... Même ses couacs étaient essentiels, poétiques... Charlie Parker, Lady Bird, dont je suis un fan absolu, s'est parfois singé, il faut être juste... John Coltrane, mon idole, s'est parfois perdu dans ses propres méandres... C'est aussi ce qui faisait leur splendeur... Ces deux-là étaient des extrémistes, des dangereux pyromanes, des aspirants icares. Pas Lester Young, peut-être déjà consumé, qui n'était que lui-même. Finalement, souffler dans son saxophone (Lady Violet) ce n'était pas plus important que fumer une cigarette, c'était même pareil, finalement, fumer une cigarette et souffler dans son saxophone, hautement spirituel. Parfois même, une cigarette, en se consumant, fait plus de bruit. C'est également ma philosophie, à moi qui ne suis hélas pas musicien, quand il me prend l'envie de souffler dans ma clarinette. Au moins, mes voisins ne se mettent pas à hurler à la fenêtre, quand je joue à deux heures du matin. D'ailleurs, parfois, après avoir longuement, pensivement mâchouillé mon anche parfois un peu dentelée, amoureusement caressé l'ébène de ma vieille et noble clarinette fêlée du bocal que j'ai moi-même restauré à la pâte à bois, promené mes doigts sur les élégantes, sensuelles mécaniques, je repose Lady Clarinette sur mes genoux, car la lune vient d'apparaître au coin de ma fenêtre, j'ai déjà eu mon moment de pure émotion musicale, j'estime même que pour une fois j'ai magnifiquement joué. Tant pis s'il n'y avait personne pour entendre.

mercredi 26 novembre 2008

Ce film n'est sans doute pas le meilleur de Douglas Sirk. Pourtant, si je devais n'en garder qu'un, ce serait celui-ci, peut-être parce que c'est le premier film de Sirk que j'ai vu, il y a une vingtaine d'années et que j'en suis encore tout retourné. Lana Turner n'est pas la plus subtile des actrices? John Gavin est un peu fade? S'il en était autrement, le film ne serait pas aussi fort, je crois. Pour ce rôle il fallait une actrice qui joue un peu faux, à la limite du rictus parfois, et qui joue faux pour de vrai, ce qui n'est pas évident. Tout est dans le titre : Imitation of life. Il s'agit d'imiter. Mais où est le modèle? Dans le miroir? Ou alors est-ce le reflet? Ou alors n'est-ce qu'un fantasme? Le rêve américain? Pas seulement américain. Ambition et amour ne font pas bon ménage. Qu'est-ce que la vie? Qu'y a-t-il donc à imiter? Faire semblant de ressentir ce que l'on ressent vraiment, écrivait Fernando Pessoa. Est-ce du même ordre? Mais alors, que ressent-on vraiment? Regarde comme tu es devenue laide, ai-je envie de lui dire, si seulement tu es encore capable de voir quoi que ce soit, ou d'entendre quoi que ce soit. Je le dis sans méchanceté, plutôt avec tristesse, avec fatalité. Au fond, c'est tragique. Comme tu es devenue superficielle, mon amour, fausse, une caricature de toi-même, ça me rend malade... Ah... ce film est d'une effroyable cruauté... Ce n'est pas seulement un mélodrame flamboyant, ni un film sur la question raciale, c'est un film sur la vanité, la laideur définitive qui en découle... et d'autres choses encore... C'est un miroir... Pauvre conne... Ça me donne envie de revoir Imitation of life, la version de Stahl, 20 ans plus tôt, avec Claudette Colbert, dont le film de Sirk est un remake. Le film est beaucoup moins cruel, mais il se regarde avec plaisir, c'est même un très bon film, mais dont les enjeux sont ailleurs, il y a même des moments irrésistibles de pure comédie. Claudette Colbert y est formidable, pétillante, à croquer. Ce qui me donne envie de revoir New York Miami (It happened one night, en vo) peut-être mon Capra préféré. Un drôle de road movie, des moments d'une extraordinaire poésie. C'est presque l'antidote d'Imitation of life, tout en légèreté, une ballade. Elle découvre le monde, la vie, l'amour, fuyant sa triste condition de fille de milliardaire, elle dort dans la paille, s'endort dans un bus sur l'épaule de Clark Gable, le veinard... Elle se met à regarder les petites gens... à apprécier les choses simples… mais essentielles, comme l'art de la mouillette par exemple... On rit beaucoup, dans ce film, et c'est plein de tendresse. Après Imitation of life, pour survivre, il faut revoir New York Miami, ce que je ferai désormais systématiquement.

mardi 25 novembre 2008

Dès que j'ai vu Mariko Okada, je l'ai aimée. C'était dans un film d'Ozu je crois, le goût du saké je crois. Elle y avait un petit rôle mais elle crevait l'écran. Dans l'ultime mélodrame immobile d'Ozu, je me souviens du sourire triste de Chishu Ryu, à la toute fin du film, seul, voûté, qui pêle sa pomme, à moins que je ne confonde avec printemps tardif, ou un autre, car il a toujours fait le même film, Ozu. Je me souviens aussi de ma première rencontre avec Mariko Okada, dans ce film, un petit rayon de soleil. Les deux images se mêlent, le sacrifice ordinaire de Chishu Ryu, la joie de vivre de la pimpante Mariko, qui joue le rôle de la bonne copine un peu espiègle. Dès que l'ai vue, j'ai eu envie de l'embrasser dans le cou, comme ça, une pulsion, j'ai aimé ses regards, sa bouche, ses joues, mais plus encore son cou. Ah... son cou... Comme elle devait sentir bon, Mariko... Puis je l'ai retrouvée dans Nuages flottants, très beau film de Naruse, où elle a un rôle plus franchement sensuel, ce qui n'est pas étonnant. Dernièrement, je l'ai revue dans la source thermale d'Akitsu, de Kiju Yoshida, qui devint son mari, le veinard. Dès son premier film, il avait voulu la faire jouer, il devait déjà en être amoureux, quelque part, mais la divine n'était pas disponible et il dut attendre un peu. Enfin, il y eut ce film, son premier avec Yoshida, qui est peut-être son plus beau, selon moi, mes critères étant émotionnels, les frissons qui m'ont parcouru, les larmes qui on coulé sur mes joues. Il faut dire aussi que c'est Mariko Okada qui a amené l'idée du film et qui l'a même produit, ayant toujours voulu jouer ce rôle, tiré d'un roman qui l'avait bouleversée et que c'est elle qui a choisi Yoshida, et non l'inverse, pour son centième film il me semble, se souvenant d'un script qu'un jeune metteur en scène lui avait envoyé, quelques années auparavant. C'est peut-être tout autant un film de Mariko Okada que de Kiju Yoshida. A la fin, phénomène étrange, je me suis exclamé, en moi-même : "Je suis Mariko Okada!" Oui, inquiétant... Risible? Peut-être aussi... Bref... Je la revois ôter ses socques et se mettre à courir dans la neige en tenant le bas de son kimono... Je la revois sous les cerisiers en fleur... Elle allume une cigarette... Elle marche à petits pas... Elle étreint le tronc d'un arbre... Elle regarde un train qui s'en va... Elle se retrouve souvent seule, comme Chishu Ryu à la fin du dernier film d'Ozu, comme moi... Après, je l'ai vue dans tous les films de Yoshida que j'ai pu voir, car elle est devenue son égérie... Mais ce n'était plus pareil... Le petit rayon de soleil était plutôt maintenant petit rayon de lune... une sorte de gravité qui plus jamais ne l'a quittée... une tristesse vague, lancinante... L'amour?

dimanche 23 novembre 2008

C'était il y a bien longtemps, même si ce n'est pas si vieux, un autre lieu, une autre époque. J'y suis resté 10 ans, à souffler dans un saxophone, ou dans une clarinette, puis j'ai déménagé. Parfois je rêve que je suis encore dans ce petit studio, à St Jean. Les levers de lune y étaient fantastiques, tellement beaux qu'ils semblaient faux, comme dans un décor de cinéma.

mouchette

mouchette 2 (le retour)

mouchette 3 (l'appel de la jungle)
J'ai relu pleure, Géronimo, de Forrest Carter. Ça m'a donné envie de revoir des westerns de John Ford, notamment Fort Apache. L'acteur ou plutôt le figurant qui joue Géronimo ressemble vraiment à Géronimo. Puis les apaches disparaissent dans la brume. J'ai envie de relire, en ce moment, et de revoir des films aussi. A une époque, je trouvais que c'était une perte de temps, de relire des livres, ou revoir des films. Il fallait que je découvre sans arrêt des choses nouvelles. J'ai beaucoup lu. Et je dois avoir un millier de dvd. C'est envahissant. J'en reviens toujours à John Ford, à Ozu, Douglas Sirk, Mizoguchi, Murnau. De ce dernier, j'ai vu pour la première fois City Girl, la semaine dernière, à la télé. Il y a une scène très belle, quand il revient au bercail avec sa jeune épouse, ils courent dans un champ, se roulent dans l'herbe, c'est beau, un très long travelling comme en a fait Mizoguchi, bien des années plus tard il me semble. Bien sûr il y a l'aurore, que je ne me lasse pas de revoir. Quels sont les films vraiment marquants de ces quarante dernières années? Y'en a-t-il eu un seul aussi beau que l'aurore ou que la vie d'O-haru femme galante? Après, à tête reposée, évidemment, putain ouais apocalypse now c'était vachement bien et puis j'ai revu Paris Texas la semaine dernière et j'ai pleuré, et tant d'autres... C'est quand même bien, le cinéma, merde... Je suis projectionniste, mais je vais de moins en moins au cinéma, je préfère être devant mon écran full hd, vautré dans mon canapé ikéa, ma théière à portée de main, ma minette ronronnant sur ma poitrine, mes étagères pleines de tous les films que j'ai aimés. Quand je vais dans une salle, le moindre défaut technique peut me gâcher un film. Ce n'est pas net, c'est mal cadré, la fenêtre est mal taillée, le film est rayé, on voit les repères de montage, le xénon pompe, le srd décroche, il y a un bruit de masse dans les enceintes, sans parler des bruits de mastication, du type qui te met ses genoux dans le dos, des écrans de téléphones portables qui s'allument, et caetera. Et puis il n'y a pas beaucoup de films récents que j'ai envie de voir. J'en vois des bouts, quand je suis au boulot, ça me suffit. J'ai vu des bouts de tous les navets sortis ces dernières années. Les bronzés 3? Oui oui... je connais bien... The dark knight?... Oui oui... aussi... Oui, j'exagère, il n'y a pas que ça, je suis de mauvaise foi, j'ai toujours été de mauvaise foi... je suis comme ça...

vendredi 21 novembre 2008


mouchette 4 (la minute nécessaire)
J'ai fait un rêve étrange. Il s'était passé quelque chose de terrible chez moi et le plafond était gorgé de sang. Je ne sais plus quel rôle j'avais. Je ne sais même plus si c'était le plafond, ou le plancher. Question de point de vue. En tout cas, c'était chez moi, ça j'en suis sûr. J'ai eu un dégât des eaux il y a quelques mois et le plafond n'est toujours pas réparé. Il pleuvait chez moi comme dans un film de Tarkovsky. En général, quand il pleut dans une maison, ça veut dire qu'elle est inoccupée, ou alors qu'elle est occupée par un mort, un souvenir, ou un fou. J'ai revu Solaris dernièrement. Il voit son père vaquer dans une maison où il pleut et il comprend alors que... Serais-je mort? Drôle de rêve. Le plafond était gorgé de sang. Ça s'était passé il y a longtemps, des années peut-être, mais le sang était toujours frais, s'était mis à goutter après des années où on ne s'était douté de rien. Il y avait eu des crimes, pas qu'un seul vue la quantité de sang et le plafond était comme une éponge bien gonflée. Ça me concernait sans vraiment me concerner. C'était bizarre. A un moment, j'essayais d'entrer par effraction chez moi, car il y avait des policiers partout. J'étais peut-être même recherché. A un autre moment j'essayais de trouver un coin pour dormir, mais c'était difficile car il y avait plein de gens, chez moi, des connus, des inconnus, qui cherchaient aussi un coin pour dormir. Et il ne fallait pas se mettre en dessous de là où ça gouttait du sang. En même temps, ça n'était pas vraiment dramatique, juste un peu inquiétant, sans plus. Parfois, la question de mon implication directe se posait, l'instant suivant c'était oublié.
Je viens de taper mon nom sur google et le blog est apparu. Merde. Ça change tout.

lundi 3 novembre 2008

Mais non, je ne me fais pas d'illusion. Car je suis l'Illusion. Voilà comment je m'exprimais, autrefois. Et aujourd'hui? J'ai peur de m'exprimer, aujourd'hui, de ne plus rien savoir dire. J'ai perdu foi en moi. Et j'en souffre. C'était tellement important, écrire, c'était même toute ma vie. Et maintenant je me sens comme exilé de moi-même, rôdant misérable et pouilleux à la lisière de moi, ne sachant plus entrer, détalant au moindre bruissement de feuille ou cri d'animal.
De quoi parler? Que dire? Je ne me pose même plus la question du qui lira, car je ne vois pas comment on pourrait tomber sur cette page, sinon par hasard. Et si j'écrivais mon nom, comme ces types qui gravent leur nom sur un mur de prison, ou sur un tronc? Comme ça, peut-être, si quelqu'un tape un jour mon nom dans un moteur de recherche, il tombera sur cette page, et alors ce ne sera pas par hasard. Jean-Charles Freycon, mon nom, oui, c'est ainsi, je n'ai pas choisi. Alors, je n'ai rien à dire, toi qui viens de taper mon nom dans un moteur de recherche, c'est juste comme ça... que je fais ça. Ça quoi? Je ne sais même pas. Peut-être qu'en secret je cherche à t'amuser, à te plaire.
Je ne sais pourquoi, j'étais sur le fuseau horaire du Pacifique. J'ai mis du temps à rectifier la chose. Non, je ne suis pas là-bas! Ça suffit! Je suis ici, heure de Paris, même si je ne suis pas non plus à Paris! Je n'y retournerai plus, là-bas, même si un jour j'ai dit à quelqu'un que j'y retournerais, pour y finir ma vie, comme Stevenson. Mais c'était à une époque où j'étais d'humeur romanesque, à partir dans des grandes déclamations sur le paradis et l'enfer, ce genre de chose, l'amour absolu, la littérature absolue, la fiction permanente de la vie. D'ailleurs, peut-être que j'y retournerai, là-bas, finalement, un jour, l'air de rien, pour y mourir, histoire d'être fidèle à ma parole de tout jeune homme. Car c'est important, une parole.
Joli, non? Je trouve qu'oui. Je m'habitue au décalage horaire, ainsi qu'au fait de ne pouvoir publier mes textes dans l'ordre que j'aimerais, comme dans un cahier, car j'aime bien les cahiers. Mais ce n'est pas un cahier, alors ce n'est pas grave. Pour connaître le début, il faudra aller à la fin, c'est tout. Mais je me dis : Qui me lira? Est-il seulement possible qu'un jour quelqu'un tombe sur cette page et se mette à la lire? Je crois que si cela se produisait, j'en serais assez bouleversé, comme si, après avoir erré une éternité dans l'espace intersidéral, quelqu'un répondait à ma voix. Ô! Toi! Voyageur égaré! Sois le bienvenu! Buvons un coup! Je n'ai que du Ballentine's car je fais attention à mes finances, en ce moment, je me demande bien pourquoi, mais je lève mon verre à ta santé! Qui que tu sois!
Rien ne marche comme j'aimerais. Même l'heure n'est pas exacte. Neuf heures de décalage ça fait beaucoup. Ça me rappelle une île où je suis allé, il y a longtemps, quand je lisais Rilke, il y avait un gros décalage là aussi. Peu importe.
Je ne suis pas très doué avec ça. Même pas capable de mettre les choses à l'endroit que j'aimerais. Pas très patient. Il doit y avoir un moyen pour que les messages se suivent, un peu comme des chapitres. Et la photo, je la mettrais bien ailleurs.
































Finalement je publie une photo. Une photo ratée. Ce sont souvent les meilleures. Et même deux.

dimanche 2 novembre 2008

Je ne sais pas encore ce que je vais dire, ni pourquoi je vais le dire. Par ennui, peut-être, pour répondre au pourquoi. Ou alors par certitude que tout cela est vain, que personne ne lira, ne verra, même si le monde entier pourrait. Ou alors parce que je peux le faire, même si je ne sais pas quoi faire. Que puis-je faire? Ça. Ça quoi? Je n'en sais rien? Et pourquoi le faire puisqu'à priori c'est vain? Il faudrait déjà savoir ce que c'est avant de dire que c'est vain, peut-être, je me dis. Je me dis. Je me dis. Je ne le dis à personne d'autre. Ça me fait penser à un poème de Rilke, il y a longtemps, très. Qui m'entendrait? C'est peut-être juste pour ça que je le fais, à cause de Rilke, finalement.