jeudi 27 novembre 2008

Lester Young sera toujours dans mon cœur. Il m'arrive encore de siffloter Stardust, du début à la fin, 3'32'', la version de 1959, que j'avais apprise par cœur sur mon vieux saxophone, note après note et qui est restée gravée là, qui fait maintenant partie de moi. J'ai mis du temps, à vraiment aimer Lester Young, à vraiment l'entendre. Je ne le trouvais peut-être pas assez brillant, pas assez spectaculaire. Il ne crie pas, ne parle jamais pour ne rien dire, il murmure, le plus souvent, n'a pas peur du silence, il faut tendre l'oreille. Au début, je l'écoutais surtout quand il jouait avec Billie Holiday, il n'existait d'ailleurs pour moi que dans son ombre. Puis je me suis mis à l'entendre et jamais peut-être un musicien ne m'a touché autant. Les personnes qu'il appréciait, hommes ou femmes, il les appelait Lady. C'était la distinction suprême, Lady. Il n'attaquait pas les notes comme la plupart des autres saxophonistes. D'ailleurs, il ne les attaquait pas vraiment, les notes, il les libérait, plutôt. Il était tout autant habité à la clarinette et c'est bien dommage qu'il n'ait pas enregistré plus avec cet instrument, dont il est l'une des plus belles voix, sinon la plus belle. (Je pense aussi à Pee Wee Russell, à Jimmy Giuffre...) Je n'ai jamais entendu une seule note gratuite de Lester Young... Chacune était vivante... Même ses couacs étaient essentiels, poétiques... Charlie Parker, Lady Bird, dont je suis un fan absolu, s'est parfois singé, il faut être juste... John Coltrane, mon idole, s'est parfois perdu dans ses propres méandres... C'est aussi ce qui faisait leur splendeur... Ces deux-là étaient des extrémistes, des dangereux pyromanes, des aspirants icares. Pas Lester Young, peut-être déjà consumé, qui n'était que lui-même. Finalement, souffler dans son saxophone (Lady Violet) ce n'était pas plus important que fumer une cigarette, c'était même pareil, finalement, fumer une cigarette et souffler dans son saxophone, hautement spirituel. Parfois même, une cigarette, en se consumant, fait plus de bruit. C'est également ma philosophie, à moi qui ne suis hélas pas musicien, quand il me prend l'envie de souffler dans ma clarinette. Au moins, mes voisins ne se mettent pas à hurler à la fenêtre, quand je joue à deux heures du matin. D'ailleurs, parfois, après avoir longuement, pensivement mâchouillé mon anche parfois un peu dentelée, amoureusement caressé l'ébène de ma vieille et noble clarinette fêlée du bocal que j'ai moi-même restauré à la pâte à bois, promené mes doigts sur les élégantes, sensuelles mécaniques, je repose Lady Clarinette sur mes genoux, car la lune vient d'apparaître au coin de ma fenêtre, j'ai déjà eu mon moment de pure émotion musicale, j'estime même que pour une fois j'ai magnifiquement joué. Tant pis s'il n'y avait personne pour entendre.

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