dimanche 14 décembre 2008

Elle n'a pas voulu que je garde de photos d'elle. Ça m'a tellement blessé, sur le coup, que j'ai jeté toutes mes photos, à la fois désolé et soulagé de me débarrasser de son image, même quand elle était très jolie, après sa douche, vêtue d'une simple serviette, plus une deuxième autour de la tête en turban, se brossant les dents, me regardant de façon tellement étrange, à la limite de la sauvagerie, la bouche moussue de dentifrice, c'était le dernier jour... J'en ai "oublié" une. Ce n'est qu'une main. Une main gauche, en plus. Je ne suis même plus sûr que ce soit la sienne. Elle pourrait être sortie d'un tableau de la renaissance. C'est pour ça que j'ai "oublié" de la jeter. Pour moi c'est plus qu'un simple membre appartenant à quelqu'un qui m'a fait quelque chose. Il faut dire que j'ai toujours beaucoup aimé les mains (ainsi que les pieds d'ailleurs) qui en disent parfois plus que les visages, qui disent en tout cas autre chose que le visage ne dit pas forcément, un truc mystérieux, pour moi, pas vraiment racontable, quelque chose qui nous échappe, qui nous émeut, de très ancien. Ça ne ment pas, une main... Quoique... en y réfléchissant... je n'en sais trop rien... Moi, par exemple, tellement focalisé sur les mains (et sur les pieds, qui sont aussi des mains, des mains qu'on aurait oubliées...) il m'est sans doute très souvent arrivé de les mettre en scène, mes mains, pour qu'on sache enfin mais de façon discrète quel type formidable je suis, de quelle nobl'âme je suis doté, même si certainement personne n'a remarqué mon petit théâtre de mains... Je suis un poseur, ça s'est sûr, à ma façon, je fais avec mes doigts à peu près ce que Cyd Charisse faisait avec ses jambes... Elle est sacrément belle cette main, en tout cas, je trouve, même si on peut finir par la trouver monstrueuse, si on la regarde trop longtemps, trop intensément. On croirait un être vivant à part entière. Je pourrais écrire des milliers de pages, juste sur cette main, ce que je vois, ce qu'elle me dit, ce qu'elle m'apprend sur le monde, sur la vie. Je pourrais presque la saisir (je sens qu'elle a froid) pour la réchauffer, je sens son faible pouls. Peu importe finalement qu'il y ait un bras, dans le prolongement, et même un corps tout entier et une personne qui l'habite. Elle me parle, cette main, elle m'est chère, en elle-même. Ce n'est pas une photo d'elle. Ce n'est pas son image. Dans ce sens, j'ai respecté sa volonté, même si ce n'était peut-être que simple méchanceté impulsive de sa part, pour se venger, pour me blesser, je me suis dit. Ce n'est pas un souvenir, même si je me souviens du jour où je l'ai prise, la photo. C'est une main. Elle prend bien la lumière. A un endroit, on dirait presque qu'il y a un miroir. (Qu'y a-t-il dedans?) Elle est vivante, cette main... Ça me rappelle le jour où j'ai bu un café à une buvette en bord de Saône, en face du Palais de Justice, à côté du premier greffé des mains, quand il est revenu à Lyon pour les rendre. Vos mains, vous pouvez les reprendre, je n'en veux plus, elle ne me vont pas du tout, je les ai même en horreur, si vous voulez savoir... Il semblait soulagé, on pouvait même dire qu'il rayonnait, avec ses deux moignons qu'il agitait devant lui comme des trophées. Il ne s'était jamais habitué à cette présence étrangère. (Je ne sais pas ce qu'ils ont fait des mains, après...) C'est tellement personnel, intime, une main... Tiens, je verrais bien les mains d'Orlac, je ne l'ai jamais vu, j'ai toujours eu envie de le voir, je suis sûr que c'est bien...

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