vendredi 24 février 2012

[Retour en Ozuie.] Il n'y en a pas beaucoup, des œuvres qui sont à la fois des pays, des pays même où on va et où on peut rester le temps qu'on veut à regarder le monde. (Après, c'est décidé, j'irai me promener un peu en Ramuzie. Je m'y sens tellement chez moi aussi, en Ramuzie. En plus, c'est juste à côté. Un bon moment que je n'y suis pas retourné...) Je me dis que je pourrais un jour dessiner une carte de mon monde, avec tous ses pays. Il y aurait aussi mon île, l'île de la déception, où je me retrouve quand je ne suis pas en voyage. Elle y serait aussi, mon île, sur la carte, même si ce n'est pas une œuvre. C'est une vraie île, qui figure sur les cartes officielles. C'est chez moi. Là où je vis. Un des rares endroits sur la Terre encore à mon goût fréquentable. Des vaguelettes d'intrus bruyants et malodorants ont essayé parfois de s'y établir, mais ont toujours été rejetées, heureusement, voire anéanties, par l'île rendue furieuse par de telles pollutions. On pourrait croire que c'est une contrée hostile et désolée quand elle n'est pas hostile, mais pour qui sait voir et apprécier, elle prodigue bien des trésors. J'en parlerai, un jour. Peut-être. (Il y aurait aussi Lyon, capitale de la quenelle.) En attendant, je reste encore un peu en Ozuie. Comme en vacance. Arrêtons-nous un moment dans une auberge à Tokyo. C'est la Crise, encore, en 1935. Le père et ses deux gamins sont sur la route. Il est tourneur. Toutes les usines le rejettent. Il n'y a pas de boulot. On part alors à la chasse au chien enragé. C'est la misère. Le plus important, c'est la bouffe. Après, avoir un toit. Mais d'abord, bouffer. Peut-être aussi et même avant, laisser rêver un peu les gamins. Que deviendraient des gamins qui n'auraient pas eu d'enfance? Le grand a acheté la casquette dont il rêvait, alors qu'avec l'argent on aurait pu bouffer. Pas si grave. On fera semblant, en mastiquant du vent, et on boira des bolées de soleil, ce sera même un festin sans pareil. L'essentiel, c'est d'être ensemble, d'être vivants et bien vivants. Et puis on se dit aussi qu'en Ozuie, il faut toujours finir ses phrases par mais... C'est la misère, mais... Il y a donc toujours un certain optimisme. Plus tard, ça ira bien mieux, si on est encore vivants. Effectivement, les choses s'arrangent. On fait des rencontres. On se serre les coudes, quand c'est la Crise. La famille s'agrandit. Des bouts errants se soudent comme des aimants. On a bientôt de nouveau un toit et même un sacrément bon toit. Sauf qu'en Ozuie, on finit toujours ses phrases par mais... Tout va désormais pour le mieux, mais... Il y a donc toujours un certain pessimisme... En Ozuie, on finit toujours par pleurer en souriant, ou par sourire en pleurant... (C'est même dans ce pays qu'on pleure et qu'on sourit le mieux...)

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