mardi 21 février 2012

[Retour en Ozuie.] Dernier film en noir et blanc. Dernier film. (Après, Ozu renaîtra, en couleurs.) Peut-être le plus complexe, le plus sombre, le plus dur de tous ses films. Plastiquement, une merveille. Dans crépuscule à Tokyo, à la fin, la mère indigne quitte Tokyo pour toujours. Elle n'en peut plus, de Tokyo. Trop de peine, beaucoup trop de peine accumulée. Tokyo, c'est la ville de sa peine. Si elle restait, elle mourrait à petit feu, à l'étouffée. Il faut savoir s'éloigner de sa peine, quand elle est trop grande. Elle ne reviendra plus, cette fois. Car elle était revenue, une fois, après être partie longtemps, se disant que peut-être la peine se serait dissipée comme la brume du matin, au moins adoucie, que la vie pourrait reprendre gentiment, au crépuscule de sa vie. Mais elle était toujours là, à peine assoupie et elle est même revenue bientôt en force, la peine, plus brutale que jamais, comme si ça n'avait pas suffi, comme si elle n'en avait pas eu assez de peine, de trop avoir aimé l'amour et la vie... Son train va partir. Elle se penche par la fenêtre. Elle aimerait tellement que quelqu'un vienne lui dire au revoir, que tout ne soit pas mort. Elle espère. Peut-être que quelqu'un va surgir, sur le quai... En même temps, elle sait bien que personne ne va surgir, sur le quai... Mais elle aimerait tellement... Ça lui ferait tellement du bien... Il n'y a même que ça qui pourrait lui faire du bien... Jusqu'au dernier moment, elle guette... Et puis le train s'en va... Je me revois alors, indigne moi aussi, fuyant ma peine moi aussi, guetter ainsi par le hublot d'un avion avant le décollage... Longtemps... Jusqu'au dernier moment... J'aurais tellement aimé que quelqu'un surgisse sur le tarmac pour me dire au revoir, que tout n'était pas mort, ou au loin agite un mouchoir... J'espérais tellement, tout en sachant que personne ne surgirait pour moi, tellement indigne, ni agiterait de mouchoir... Mais je ne pouvais m'empêcher de guetter... Jusqu'au dernier moment... Et puis l'avion a décollé... Et j'ai guetté encore, au décollage, et encore après, longtemps, au dessus des nuages...

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