jeudi 23 février 2012

[Retour en Ozuie.] Difficile d'en repartir, d'Ozuie, une fois qu'on s'y est de nouveau installé. Il faudra bien à un moment ou à un autre savoir s'en aller, je me dis. Mais pour aller où? Ailleurs... En attendant, j'y reste encore un peu, comme en vacance... Chœur de Tokyo, 1931, c'est la Crise. Le père se retrouve au chômage. Il avait promis un vélo à son fils. Il reviendra seulement avec une trottinette. Le fils fera sa crise. Papa ne m'a pas acheté mon vélo. Papa est un menteur!... Alors le père lui ramènera un vélo, même si c'est la Crise, ils se serreront un peu la ceinture, ce n'est pas si grave, il ne veut pas manquer à sa parole, ni être un père indigne, le fiston aura son vélo. La petite fille (la sublime Hideko Takamine à sept huit ans) mange une brioche avariée et n'est pas loin de trépasser. Heureusement, elle guérit. La misère n'est pas loin, mais l'essentiel est sauf. Errant, le père chômeur rencontre son ancien professeur d'éducation physique, qui lui propose de venir l'aider dans le bistrot de quartier qu'il vient d'ouvrir, en attendant de retrouver un vrai emploi. C'est la Crise. On se serre les coudes. Le plus important c'est quand même d'avoir un toit, de quoi manger. Il a un peu honte, au début, surtout quand il doit faire l'homme sandwich pour promouvoir le bistrot et que sa femme et ses enfants l'aperçoivent de la fenêtre du tramway. Bientôt, toute la famille se retrouve à travailler dans le bistrot avec l'ancien professeur et sa femme. On y est tellement bien, dans ce bistrot. Tout le monde est heureux. C'est même une grande famille. On se dit alors que c'est drôlement bien, la Crise. Sans la Crise, il n'y aurait eu que les soucis habituels de la vie, le train-train au bureau, la fille dans quelques années à marier, les enfants qui s'en vont, bientôt la vieillesse, la solitude, l'abandon. On n'est jamais autant heureux qu'en temps de crise, quand on a quelque chose dans son assiette, un toit et qu'on se serre les coudes. A la fin, le professeur organise une grande soirée avec ses anciens étudiants. Ils sont tous en costard. Sauf lui qui a revêtu son kimono de cérémonie. Il profite de l'occasion pour annoncer à son protégé qu'il lui a trouvé un vrai emploi, professeur d'anglais dans un lycée de filles. Il est content. La Crise, pour lui, c'est fini... Mais... c'est loin de Tokyo. Il devra donc, un certain temps, se séparer de sa famille. Un jour ou l'autre, tu pourras revenir, lui dit sa femme. Il baisse la tête. Il est maintenant dévasté. Les étudiants lèvent leur verre et se mettent à chanter. Il lui faut un certain temps pour imprimer sur son visage un sourire et se mettre lui aussi à chanter.

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