jeudi 9 février 2012

Je passais souvent devant l'échoppe du tatoueur, rue de la charité. Il y avait souvent un type, tatoué des pieds à la tête, un bras coupé au dessus du coude, qui fumait sa cigarette devant l'échoppe. C'était d'ailleurs peut-être le tatoueur. Le tatoueur manchot. Il avait aussi toutes sortes d'anneaux, de perles et de barres d'acier incrustés dans le corps. Je n'osais pas trop le regarder, à cause de son bras coupé. S'il n'y avait pas eu son bras coupé, je l'aurais sans doute mieux regardé, car il m'intriguait. Intégralement tatoué, visage et crâne tondu inclus, façon guerrier maori pour la tête. D'autres influences sans doute sur d'autres parties de son corps, j'imaginais. Même son moignon était tatoué. Je passais devant. Il avait l'air triste. Peut-être parce que personne n'osait le regarder. Il m'est arrivé de me dire que peut-être il s'était lui-même amputé, dans l'échoppe, pour parfaire son œuvre, que c'était un genre de manifeste, ou une signature. Ou bien il avait raté le tatouage sur son bras et avait décidé de l'amputer pour ne pas gâcher l'ensemble, comme on froisse et jette à la poubelle le chapitre inutile d'un roman. La peau. J'avais vu, une fois, à une exposition d'art contemporain, une peau de légionnaire. A la fin, il avait légué sa peau. Ou peut-être l'avait-il vendue? En tout cas, sa peau s'était retrouvée exposée comme de l'art contemporain, alors qu'elle n'avait rien de contemporain. C'était comme un livre, sa peau, ou une carte au trésor. On y suivait ses amours, ses deuils, ses voyages.

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