jeudi 10 octobre 2013

Parce que la Mort rôde... — Verdâtre, avec sa faux... — On croit qu'elle vient d'un coup... Mais elle rôdait depuis un bon moment déjà... On croyait que ce n'était qu'une idée, qu'on pouvait la chasser comme une simple idée noire, ou plutôt une simple idée verdâtre... — La remplaçant par une autre idée?... — Peut-être... Mais elle était toujours là... Elle a d'ailleurs peut-être toujours été là, dès la naissance, assise dans un coin dans la salle d'accouchement, ou juste derrière soi, bientôt, à flairer vos cheveux... Alors on croit pouvoir la chasser comme une idée, la remplaçant par une autre idée, mais elle est toujours là... Elle fait partie de la famille, on ne la chasse pas comme ça... Même chassée, même reniée, refoulée, scotomisée, tout ce qu'on voudra, de toute façon, elle sera toujours là, dans un coin... — Tu pensais, à un moment, que c'était toi, peut-être, qui l'avais rendue malade à ce point, que c'était peut-être à cause de toi, que tu faisais se faner les jolies fleurs, que c'était peut-être même toi qui l'avais poussée au suicide, la jeune fille et la mort... Un soir de fin d'automne, en regardant ta fenêtre, tu avais senti la Mort près d'elle... Peut-être six mois plus tard, au printemps, elle t'avait dit qu'elle avait essayé de se suicider six mois auparavant... — Oui... Un appel au secours, elle avait dit, comme tout le monde dit, comme on dit à la télé, dans les magazines, dans les mauvais romans... Pas grand chose, elle avait dit, presque en riant, un acte désespéré, mais elle ne voulait pas vraiment en finir, elle avait dit... Qu'on la remarque, surtout, qu'on s'occupe d'elle, en baissant les yeux, elle avait dit... — Peut-être alors qu'elle t'appelait... — Peut-être... — Et quelque part, tu l'as entendue... — Peut-être... Ou alors c'était une coïncidence... J'ai pensé et même senti qu'elle se suicidait alors qu'elle se suicidait... — Et tu ne l'as pas rappelée... — Je n'avais plus son numéro... Elle m'avait une fois de plus banni de sa vie... — Tu as peut-être l'oreille, pour la Mort... — Peut-être... — C'est peut-être même toi, le Verdâtre... — On est peut-être tous le Verdâtre de quelqu'un... — Et toi, tu la chasses, la Mort, comme une idée?... — Non... Moi je l'attends, avec mon sabre... Je m'entraîne... Et puis ce n'est pas qu'une idée... Je la sens, parfois, dans la nuit... Je meurs un peu, dans la nuit, souvent, je frôle la Mort, ou alors c'est elle qui me frôle... Elle me serre le cœur, parfois, pour voir ce que ça fait, quel genre de client je suis... Elle s'entraîne, elle aussi, se prépare... Je suis même mort déjà tant de fois... Comme des répétitions, avant la première, ou plutôt avant la dernière... — Sabre contre faux... — Oui... On verra bien... — Tu te prépares... — Oui... Comme le père qui avait fait la vaisselle et ses besoins et sa toilette avant d'aller finalement se recoucher... Comme le pépé qui était remonté traviolant de l'hôpital avec un couteau dans son poing... — Parce que la Mort se précise... — Oui... Quelques mois... Quelques années... Je ne sais pas trop... — Voilà pourquoi tu es devenu tant bavard... — Oui, peut-être... À un moment, on se prépare vraiment... — Tu mets de l'ordre dans tes affaires... Tu t'entraînes aussi au sabre... — Oui, peut-être bien... — Depuis quand?... — Depuis toujours peut-être... Mais la mort de Mouchette peut-être a déclenché quelque chose... — Que de peut-être... — Je me souviens, elle s'est redressée brusquement sur ses pattes, quand on lui a fait la première piqûre... alors qu'elle était paralysée... — L'instinct de vie... — Oui... — Elle nous manque... — Oh oui... — Mais ne pas hâter sa fin... — Certainement pas... — Chaque souffle compte... — Oui... — Et tu crois que tu vas vaincre, avec ton sabre?... — Quelle importance... Seul le geste compte... Seul le geste comptera... Dégainer, couper, il n'y a que ça... Le son de lame qui fend l'air... le petit vent...

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