lundi 14 octobre 2013

Je pourrais passer ma vie dans les films de Bergman. Voyageant d'un film l'autre. Surtout quand je suis malade, momentanément au bout du rouleau, emmitouflé dans ma vieille couverture pleine de trous. Comme Ingrid Thulin, dans le silence. Par deux fois elle verra passer la charrette fantôme. (La troisième fois, ce sera un nain.) Esther est malheureuse. Elle boit beaucoup. Elle fume beaucoup. Elle est malade. Croit qu'elle va mourir. Elle est seule, terriblement seule. Parfois elle se masturbe, mais sans plaisir. Anna est sensuelle, fait l'amour aussi souvent qu'elle le peut, avec des étrangers, là où ça la prend. N'en est pas moins désespérée. Elle en veut à sa sœur. Se sent méprisée par son intellectuelle frigide de sœur, sans cesse observée, jugée. Se venge. Depuis toujours. (Le père avait sans doute sa préférée.) Et Johann, le gamin, entre sa mère torride et sa tante mourante. (Johann, c'est peut-être bien Bergman, le fils du pasteur.) Il erre dans les couloirs de l'hôtel, découvre le monde. Ce monde étrange où personne ne parle sa langue. Il lave le dos de sa mère, quand elle est dans son bain, lui caresse la peau, lui embrasse les épaules et la nuque, fait la sieste avec sa mère toute nue, regarde les pieds de sa mère, les seins de sa mère, se plonge dans les jupes de sa mère dès qu'il en a l'occasion pour s'étourdir de son parfum. Sa tante, traductrice, lui apprend des mots. Il est peut-être plus souvent avec elle qu'avec sa mère nymphomane. Mais elle n'a pas le droit de le câliner comme sa mère. Ses regards sont doux et tristes. Il l'aime autrement. Tout ça est très étrange, pour lui. Les femmes... Il ne juge pas. Il ne comprend d'ailleurs rien. (Et moi d'ailleurs non plus je ne comprends rien.) Juste des émotions. Il faut naviguer avec précaution parmi les fantômes et les souvenirs... dit Esther, vers la fin, tandis qu'elle agonise. Le silence de qui? ou de quoi? je me demande à la fin. On entend à plusieurs moments le tictac d'une montre, entêtant, peut-être la montre sans aiguilles des fraises sauvages... Le silence... Âme, prononce le gamin à la fois dans la langue mystérieuse et traduit dans sa langue, dans le train qui l'éloigne avec sa mère de sa tante laissée seule dans la chambre d'hôtel de ce pays étranger, lisant la lettre qu'elle lui a écrite, les quelques mots promis dans cette langue mystérieuse. Il continue de lire mais on n'entend plus rien, car sa mère à ouvert la vitre du train pour se rafraîchir, fouettée par la pluie, les yeux fermés, car elle brûle.

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