samedi 5 octobre 2013

On ne tue finalement que ce qu'on aime... — Peut-être bien, oui... — Le reste, ça n'en vaut pas la peine... — Peut-être bien... La peine, ça se paye cher... — Tatsuya Nakadaï, dans le sabre du mal, il fout la trouille... — Oui, sacrément... Il pratique la garde silencieuse... — C'est vicieux, ça... — Oui, très vicieux, il s'ouvre, se met entièrement à la merci de l'adversaire... Il est alors sans forme, comme on dit chez les Chinois... Déjà en pensée exactement à l'endroit où sera l'adversaire, qui arrivera à bout de souffle, épuisé... Il n'aura plus qu'à l'achever... — C'est ce que tu apprends, aussi, en quelque sorte, la garde silencieuse, et aussi ce qu'il t'arrive d'enseigner... — Oui... La garde silencieuse... Le guerrier immobile... — Ça conduit à la démence... comme dans le film?... — Pas forcément... Âme perverse, sabre pervers, est-il dit dans le sabre du mal... — Et le tien, de sabre, alors, il est comment?... — Je n'en sais encore rien... Trop jeune encore dans l'art du sabre... On le sait vers la fin, peut-être, ou peut-être même pas... — C'est l'âme du samouraï, alors, le sabre?... — Oui, l'âme... Tu te rends compte, à certains moments cruciaux, que c'est le sabre qui décide... Toi, bien souvent, tu aurais pris un autre chemin... — Le sabre... Et quand tu n'as pas ton sabre alors?... — J'ai toujours mon sabre, même quand je n'ai pas mon sabre... — Et quand tu enseignes, tu as des élèves?... — Si on veut, quelques uns... — Tous?... — Non non, juste ceux que j'ai choisis... Un éternel adolescent qui ne lit que des bédés... Un pédopsychiatre renommé... Un type aussi qui a été longtemps aveugle et a retrouvé plus ou moins la vue après une greffe de cornées... Une jeune fille, dernièrement, gracieuse, souple, fraîche comme la rosée, au regard vif... — Et les autres?... — Je les regarde moins, je sens aussi qu'ils m'entendent moins, je perdrais mon temps et eux le leur... — Tu es un maître, alors... — Non non, juste un vieux croûton, un ancien, comme on dit, sempaï, un suppléant... — Et ils t'écoutent... — Oui, ils m'écoutent, je crois, parfois... — Et tu leur dis quoi?... — De se détendre... De rester droit... D'avoir le regard vague... De respirer... De sentir leur propre poids... D'anticiper leur propre chute... D'être sans force... De se déplacer le moins possible... D'être sans but prédéfini... De ne plus réfléchir... Des choses simples... — Et le sabre?... — Et le sabre saura où aller... — Et la garde silencieuse alors, être sans forme, se trouver en pensée à l'endroit où sera l'adversaire... — Au bord du gouffre... On s'y retrouve toujours, au bord du gouffre, fatalement, qu'on prenne n'importe quel chemin... L'attendre alors, l'adversaire, tranquillement, au bord du gouffre... — Juste en pensée?... — Totalement en pensée, c'est à dire entièrement car le corps suit son maître et donc pas juste en pensée, ce qui ne voudrait rien dire... Apprendre à lire les trajectoires, les cheminements, jusqu'à la chute... C'est toujours un peu la même histoire, la même histoire pathétique... Tu le vois soudain foncer tête baissée comme un petit taureau, il est déjà inerte dans la flaque de son sang, même s'il ne le sait pas encore... — Et c'est qui l'adversaire?... — Juste soi-même, au bout du compte, il semblerait... — D'un seul coup de sabre alors se pourfendre soi-même?... — Il y a un peu de ça... Soi-même ou alors son double... L'Autre... L'Adversaire... Le petit taureau... — Juste pour finir en beauté?... — Peut-être bien... — Et le chemin jonché de cadavres... — Les cadavres, c'est le Chemin, il faut passer par là...

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