mercredi 18 février 2009

Relire Vie de Samuel Belet a été comme retrouver un ami très cher. Il me raconte toujours un peu la même histoire mais j'aime tellement entendre sa voix. Dans sa voix il y a la terre, le vent, l'eau et le feu. C'est tout simple. Ça parle directement, sans finasser, humblement. Il me parle de moi-même, Ramuz, Charles-Ferdinand, dans ce livre, car je suis Samuel Belet, au fond, là, il n'y a que le lac à traverser. J'y suis d'ailleurs allé, l'été dernier, y faire un petit tour, mais plutôt vers Montreux, rendre visite à Christian, un ancien voisin de la rue du Bœuf devenu camarade de beuveries et discussions philosophiques autour d'une boîte de sardines, qui s'est rabiboché quinze ou vingt ans après avec son ex-femme vaudoise. (Sa fille s'appelle Reine, vit à Neuchâtel et je l'aime beaucoup, Couicouine.) Bref, je suis allé voir Christian, dans une campagne par là-bas, et il m'a emmené boire un coup au bordel, juste pour le plaisir de répondre, goguenard, à son ex-ex-femme, le soir, à la question habituelle du vous avez fait quoi : on est allés aux putes... C'est là que j'ai fait la connaissance de Suzanna. Elle devait à peine avoir vingt ans mais son corps semblait déjà bien fatigué, était portugaise, venait de Coimbra. Je vous trouve très bien, m'a-t-elle dit en s'installant à notre table... Toi vouloir amour avec moi?... C'est un pays bien étrange, la Suisse. On y trouve des bordels en plein jour, avec terrasse, en bout de zone commerciale, en pleine campagne. (Le Cheyenne, déco hacienda mexicaine, banquettes simili vaches tachetées... C'est un ancien juge, il paraît, qui a monté l'affaire...) On y voit aussi des nuées de gigolos, à Montreux, au bord du Léman, promenant le caniche ou le lévrier de madame. Je repense parfois à Suzanna, je me souviens bien de son visage, ses sourcils noirs très épais, ses lèvres trop rouges, sa façon timide de baisser les yeux, sa peau laiteuse, ses seins lourds, j'imagine ce que doit être sa vie. Elle n'était pas très à l'aise, débutais je crois dans le métier. (Une de ses collègues, une volcanique Espagnole au déhanché ahurissant, avait toujours un œil sur elle, l'encourageait de loin tout en caressant la nuque d'un pépé sec et rougeaud. J'aurais aimé avoir l'audace de sortir ma petite caméra...) Elle a semblé très vexée et est partie sans un mot quand, au bout d'un quart d'heure, je lui ai dit qu'on était seulement venus boire un verre et que je ne voulais surtout pas lui faire perdre son temps et que si j'étais venu pour ça, sans hésiter, j'aurais dit oui, car elle était très jolie. Ce que je ne lui ai pas dit, c'est qu'elle était très émouvante, dans sa maladresse et que, pour le coup, j'en serais peut-être tombé amoureux, si on était allés plus loin, façon prince Mychkine, je me connais, il ne valait donc mieux pas, je crois.

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