Au Japon, dans les années soixante-dix, le film érotique était un genre au même titre que le film de yakuzas ou de samouraïs. De vrais bons cinéastes y excellaient, sous l'appellation romans pornos ont même livré d'authentiques petits bijoux. La véritable histoire d'Abe Sada, de Noboru Tanaka, a été tourné juste un an avant l'empire des sens. Contrairement au second, le premier, film de studio fortement contraint par la censure de l'époque, ne montre jamais rien frontalement, laissant une place essentielle au hors-champ. La scène la plus osée, finalement, est quand elle lèche les larmes de son amant. Tout devient alors très stylisé. Des jeux de miroirs. Les couleurs qui explosent. Une photographie somptueuse, jamais gratuite. La calligraphie devient centrale. Nécessité d'écrire, de ritualiser. Ce n'est pas qu'une histoire d'amour fou où le plaisir est un gouffre toujours plus profond, éros et thanatos se tenant par la main, c'est un poème en lettres de vrai sang, une sorte de manifeste. Le meurtre sexuel considéré comme un art. Contrairement à l'empire des sens, l'histoire se prolonge bien après la castration. C'est même à partir de ce moment, plutôt fondateur que terminal, que le film devient vraiment passionnant. On suit donc encore Abe Sada, le sexe pourrissant de son amant glissé contre son ventre, sous sa ceinture de kimono, ou bien posé sur l'oreiller, glissé sous le futon. Elle l'a toujours avec elle, comme un fétiche, se masturbe même parfois avec. Un homme, lui caressant les seins, lui dit qu'elle sent un peu mauvais. Comme tout est éphémère... Il est temps de vider l'eau des fleurs...
samedi 28 février 2009
mercredi 25 février 2009
Je ne suis pas un grand fan de Buñuel. C'est peut-être parce qu'ils sont plusieurs. S'il n'y avait que le Buñuel français de la dernière période, je n'aimerais pas du tout Buñuel. L'Espagnol, je ne l'aime pas non plus beaucoup. Le Mexicain, lui, je l'adore. Luis Buñuel est un très grand cinéaste mexicain. Comme si, dans ce pays, il s'était vraiment épanoui. Ses films y sont plus populaires, plus humanistes, moins ouvertement polémiques et caricaturaux. Loin du vieux continent, il s'est peut-être un peu délesté de tout ce tralala... Le moindre petit film, comme Don Quintin l'amer, ou on a volé un tram, y prend un charme fou. Sans même parler de el, ou bien de el rio y la muerte, de la vie criminelle d'Archibald de la cruz, de los olvidados évidemment, et de bien d'autres... Le grand noceur!!!...(Si j'étais moins paresseux je disserterais sur l'art de l'ellipse dans les films mexicains de Luis Buñuel. Il y a des choses fabuleuses, que je n'ai vues que là... Dans el rio y la muerte il y en a une extraordinaire, qui m'a laissé tout bizarre, me demandant si j'avais vraiment vu ce que j'étais censé avoir vu, ou si j'avais eu une absence...) J'ai un gros faible pour la jeune fille (the young one), film mexicano-américain. On a du mal à y reconnaître la patte du Buñuel mexicain. Peut-être parce qu'il s'agit là du Buñuel américain, qui n'a fait qu'un film, la jeune fille. On songe un peu à Kazan, époque baby doll, mais juste un peu, actor's studio mis à part. C'est magnifique de bout en bout, plutôt très épuré, pour un film de Buñuel. Dommage qu'il n'en ait pas fait d'autres. (L'acteur noir n'est autre que Bernie Hamilton, jeune et encore assez svelte, qu'on retrouvera bien plus tard en capitaine Dobey dans la série Starsky et Hutch, je me disais bien, aussi, que je l'avais vu quelque part...) C'est un peu comme pour Renoir, dont j'ai enfin vu, dernièrement, l'homme du sud, petit chef-d'œuvre américain, l'air de rien. Ces deux-là étaient sans doute difficilement gérables par les studios hollywoodiens, leurs rêves n'étaient sans doute pas très conformes au rêve américain, sans doute un peu trop libres, grinçants, poétiques.
lundi 23 février 2009
Je me suis dit qu'il était enfin temps, à bientôt 43 ans, de commencer à explorer un peu un genre vieux comme le cinéma, que je ne connais pas du tout, ne serait-ce que pour tenter de remettre en questions mes préjugés, je le confesse, plutôt négatifs. Un jour, à Paris, avec Marie-Laure, lors d'une grande et belle exposition consacrée à l'érotisme, j'ai vu un petit film de Man Ray, deux lesbiennes, tête-bêche, se léchant, en boucle. J'ai trouvé ça très bien, troublant (grosse érection, au Palais de Tokyo) et même beau. J'avais vu l'empire des sens, un film très fort, allant jusqu'à être très choquant, magnifique. Je ne voyais pas comment on pouvait aller plus loin dans la mise en scène du sexe, du plaisir. J'apprécie beaucoup aussi les films bondage de Masaru Konuma, des petits bijoux parfois assez dérangeants. Yasuzo Masumura, lui aussi, est allé assez loin dans le genre. Que des Japonais, je remarque. Peut-être ont-ils un rapport au corps plus sain que nous autres, pour pouvoir l'exprimer ainsi jusqu'à l'extrême, ce qui me fait aussi penser au très sulfureux et burlesque Fantasmes du Coréen Jang Sun-Woo. En même temps, ce ne sont peut-être pas des films qui intéressent les vrais amateurs de cinéma porno. Je vais être désobligeant peut-être : ce ne sont peut-être pas des films pendant lesquels on peut se masturber facilement. Du porno soft, on dit? J'en ai vu un très bien, sur Arte, il y a quelques mois : Abigail Leslie is back in town. Un film américain, des années soixante-dix. Ça m'a donné envie d'en voir d'autres. Car il paraît que c'est l'âge d'or du porno, les années soixante-dix. Pas réussi à trouver derrière la porte verte. Pas réussi à trouver un site qui parle de façon au moins un peu érudite et séduisante de la chose. J'ai donc décidé d'y aller au petit bonheur, de commencer à essayer de dénicher des perles, du moment que ça ne dépassait pas une (toute petite) poignée d'euros. J'avais entendu parler d'Ovidie, par des gens très sérieux, plutôt en bien, genre égérie nouvelle vague du porno. Dans la peau d'Ovidie, de Stan Lubrick, ça peut être bien, au moins rigolo, essayons, je me suis dit, en plus le film a reçu deux hot d'or, ce qui semble être une sacrée distinction, ce n'est donc sans doute pas le tout-venant. Alors, je me suis installé, ma théière à portée de main, douillettement entortillé dans mon plaid comme une larve de papillon parée pour la métamorphose, comme devant un film d'Ozu, tranquille, sans préjugé. Quelle déception... Tout y est laid, inexpressif, sérieux, même Ovidie... Une succession de coïts interminables et tous semblables, interchangeables, comme un western où il n'y aurait que des duels sans queue ni tête, sans aucune progression dramatique, sans désir, qui serait bien mieux filmé par une simple caméra de surveillance sans personne derrière... J'ai bandouillé parfois un peu, au début, il faut être honnête... En y mettant un peu du mien, j'aurais pu, peut-être même, me secouer un peu... (Ça m'a aussi rendu triste car ça m'a rappelé une jolie petite fleur un peu maladive qui, la première nuit, s'est mise à quatre pattes, la croupe tendue, tous orifices soudain offerts et, d'une voix blanche, m'a dit fais ce que tu veux... Mais je ne veux rien, ma petite puce, louchant sur son charmant petit trou, bien net, délicatement étoilé, parfait, elle devait en être très fière...) L'ennui s'est rapidement installé et j'ai commencé à regarder ma montre quand j'ai deviné, à la deuxième scène de sexe, je suis très perspicace, qu'il lui éjaculerait sur les seins. J'ai tenu, jusqu'au bout. La métamorphose n'a pas eu lieu. (La larve a même fini par sécher dans le cocon.) Heureusement, j'ai eu la bonne idée d'aller voir le bêtisier, à la fin. Là, voyant ces bouts de scènes où les acteurs devaient parler, ça m'a fait penser à Rohmer. Mais pourquoi Rohmer n'a-t-il jamais tourné de porno? Je suis sûr, très sérieusement, que ce serait formidable. J'imagine. Et pourquoi Orson Welles n'a-t-il jamais tourné de porno? Quel dommage... Et Godard, il aurait pu, Godard, quand même, non?... Mais Rohmer, surtout, j'imagine bien, ce qu'il pourrait faire... Catherine Breillat l'a fait?... Comme c'est ennuyeux, pontifiant, boursoufflé d'intentions, pas du tout sensuel, les films de Breillat... Virginie Despentes a fait Baise-moi?... Misère... Je ne sais même pas si ça peut encore choquer le bourgeois, si c'était le but... Pourtant, je suis très féministe, moi, au fond, même si je n'ai pas l'âme militante... (Un ancien copain m'avait assuré, c'était le fruit de sa grande expérience, que toutes les femmes adoraient être sodomisées. Et toi, tu aimes être sodomisé? lui avais-je demandé. Ben non, enfin, je ne suis pas une femme moi... Et moi? J'avoue n'avoir jamais essayé, mais peut-être que j'aimerais ça, même si je n'y pense pas beaucoup, on ne sait pas... Peut-être que si une jolie petite harnachée comme il convient me le faisait tendrement, je ne sais pas, j'avoue mon inexpérience... Tous les hommes n'aiment peut-être pas être sodomisés... Il m'avait regardé, alors, avec ce petit air contrit qu'il avait parfois lors de nos discussions, me disant que je faisais de la rhétorique... ce que je n'ai pas nié...) Dans la foulée de dans la peau d'Ovidie (qui n'apprécie guère la sodomie, ça en fait au moins une, j'aurai au moins appris ça), j'ai vu Pretty Nina et Pop-Hard... A la fin, j'avais des fourmis dans les yeux... (Dans le second, les femmes avaient encore le droit d'avoir du poil, c'était donc un peu plus mystérieux, ce que j'en ai conclu.) Mais je ne m'avoue pas vaincu, même s'il me faudra sans doute du temps, avant d'y revenir... Il y a sûrement des belles choses, quelque part... Ce serait bien trop triste, sinon...
vendredi 20 février 2009
Je viens de revoir voyage à Tokyo. Le cinéma d'Ozu m'est devenu tellement familier que je n'ai plus grand chose à en dire. Tout a été dit. (Kiju Yoshida est peut-être celui qui en a parlé le mieux. Ou pas.) Je ne revois pas souvent voyage à Tokyo. Je viens plus souvent vers crépuscule à Tokyo, printemps tardif, fin d'automne ou le goût du saké, même si, finalement, c'est toujours le même film, très légèrement décalé d'un film à l'autre, allant de plus en plus vers l'épure, le plan vide, l'infime, le Temps, le Rien. Un simple mouvement de glotte. Un geste d'éventail. Un plissement des yeux de Chishu Ryu. Sa façon inimitable de faire hum... Le premier film d'Ozu que j'ai vu était les sœurs Munakata. C'était l'après-midi, au printemps, j'étais oisif, déjà très amateur de thé et m'étais préparé du thé vert, du bi-luo-chun. Alors, le temps s'est arrêté. Ou plutôt, mon temps s'est arrêté et je suis entré dans le temps d'Ozu. Ou plutôt mon temps s'est mêlé au temps d'Ozu. L'après-midi, en buvant du thé vert. (Dans le goût du saké, le deuxième que j'ai vu, dans un plan vide, j'ai remarqué exactement le même modèle de théière que la mienne, une petite, arrondie, en fonte, avec les mêmes petits motifs autour.) C'est devenu un rituel. Je n'apprécie pas autant un film d'Ozu le soir en sirotant un whisky. (J'ai essayé.) Ça ne marche vraiment bien que l'après-midi, surtout avec du thé vert. Le thé blanc passe bien aussi. Le wulong, ça dépend lequel. Le noir, à la rigueur, en hiver, si on n'a rien d'autre. L'après-midi, il faut avoir tout son temps, couper le téléphone. C'est bien quand la fin du film correspond au crépuscule. Là, on est vraiment dedans. Dans voyage à Tokyo, au début, un petit bateau à moteur passe tranquillement de la gauche vers la droite de l'image. Dans voyage à Tokyo, à la fin, un petit bateau à moteur passe tranquillement de la gauche vers la droite de l'image. Une façon de boucler l'histoire? Un éternel retour? Bien sûr que non. Si le petit bateau à moteur, à la fin, était passé de la droite vers la gauche, on aurait pu, peut-être, à la rigueur, spéculer un peu. Mais là, sûrement pas. Le bateau va dans le même sens. Il n'y a qu'un sens, de la gauche vers la droite. On ne revient pas en arrière. Il faut s'y résigner. Avec le sourire, si on peut. On entre toujours du pied gauche, sur un tatami. Quand on se masse les poignets ou les pieds, on commence toujours par le gauche. C'est le sens de circulation des énergies, en médecines chinoise et japonaise. Si on commençait par le droit, tout serait à rebrousse-poil, à contre-courant. Voilà, ce que j'ai vu, aujourd'hui, en revoyant voyage à Tokyo et je trouve ça bouleversant, sans même parler du reste. Un petit bateau à moteur, qui passe, tranquillement, de gauche à droite. Il ne s'est peut-être rien passé d'autre. Ou bien il aurait pu se passer autre chose et ç'aurait été égal. Ou bien il s'est passé autre chose mais on n'était pas là. (Peut-être aussi qu'un train est passé, au début, de gauche à droite, et, à la fin, de droite à gauche, mais je n'en suis pas très sûr et c'est une autre histoire, le progrès, la vitesse, le voyage... pour aller où?) Il faut avoir le temps, pour apprécier Ozu. Alors, quand on est dedans, on a souvent un fin sourire avec les yeux comme Chishu Ryu et parfois même on rit, et puis l'émotion qui paressait dans la région du sternum comme un chat de gouttière se met doucement sur ses pattes et s'étire comme seul un chat le peut et on a alors des frissons et les yeux tout brillants et brûlants. Ça se consomme tranquillement, un Ozu. Il faut un peu être soi-même le petit bateau à moteur, qui passe, tranquillement, au fil de l'eau.
jeudi 19 février 2009
Je suis assez soulagé de constater que personne ne vient sur mon blog. C'est drôle, cette idée que j'ai eue de faire ça, comme des millions de personnes, m'exposer ainsi, pour voir, mais comme tout le monde s'expose aux yeux de tout le monde, ça ne veut plus rien dire, ça revient même à cultiver l'anonymat, la solitude, dans cette formidable utopie du web où l'Être rejoint le Néant ou peut-être l'inverse. Je crois que je continue justement parce que personne ne vient, comme j'écrirais dans un carnet que je laisserais ensuite sur un banc public. Le jour où quelqu'un trouvera le carnet, je ne pourrai peut-être plus écrire dedans, si je ne le retrouve pas là où je l'ai laissé. En attendant, je trouve ça amusant et je viens, de temps en temps, m'asseoir sur mon banc. C'est un banc très en retrait du chemin. Il faut savoir qu'il existe pour pouvoir venir s'y asseoir. Ou bien alors en flânant, peut-être, on peut tomber dessus, même si le panorama, de mon banc, n'est peut-être pas extraordinaire. C'est mon banc, j'y ai mes habitudes, voilà tout. Il y en a plein d'autres, plus ou moins visibles du chemin. J'avoue qu'ils ne m'intéressent pas du tout, les autres bancs. A chacun son banc. Je n'ai pas le sentiment, ici, de faire partie d'une communauté. Ça me rappelle quand j'étais gamin, à l'internat, chez les curés. On avait tous un petit placard, à côté du lit en fer. On le fermait avec un cadenas, on y mettait des choses précieuses, des gâteaux, des bonbons, des illustrés, un Play-Boy ou un Lui, quelques sous. Certains même le personnalisaient, installaient une petite ampoule qui s'allumait quand on ouvrait la porte. C'était un petit coin à soi, intime, dans ce monde uniformisé, fermé, suffocant. On ne le faisait pas pour que les autres le voient, c'était caché, même si on aimait bien quand même que les autres le voient un peu et trouvent ça bien. Moi, je me suis vite lassé, de mon placard, car il m'a vite foutu le cafard, ce placard. L'odeur des chamonix orange que me donnait ma mère y régnait, mêlée à celle des vieilles chaussettes, et c'était l'odeur de la solitude, de l'abandon. Le soir, des nonnes jouaient de lugubres airs sur le carillon de la cathédrale de la visitation qui surplombait l'école. Je me sentais orphelin. J'avais dix ans, je sanglotais dans mon lit, la nuit, sous le drap, en grignotant mes gâteaux écœurants, en guise de réconfort, en cachette, honteusement, perdu dans ce long dortoir obscur d'une quarantaine de lits. (Puis sont venues les caries, les rages de dents...) Aujourd'hui encore, l'odeur de ces gâteaux me noue la gorge et juste apercevoir l'emballage dans un rayon de supermarché me fait légèrement grimacer. Dans les prisons, ils font la même chose, avec leurs placards. Et sur internet, on peut créer son blog, son placard et internet alors est une sorte de grand dortoir plein d'enfants abandonnés, chacun caché sous son drap à se réconforter honteusement comme il peut. Il y a quelques mois, j'ai vu un film magnifique de Richard Fleischer, son premier il me semble : Child of divorce. A la fin, les deux petites filles, à l'internat, sont devant la fenêtre et le clocher tout proche se met à carillonner. Alors, sur mon canapé, tout m'est remonté et je me suis mis à sangloter.
mercredi 18 février 2009
Depuis que je fais de l'aïkido, j'aime encore plus les films de samouraïs. Toshiro Mifune était expert en kendo et en aïkido. Shintaro Katsu était aussi un magnifique sabreur, d'une autre école un peu bizarre. Juste les voir se déplacer est un régal. Leur rencontre dans Zatoïchi contre Yojimbo est pour moi très émouvante. Ce n'est pas le meilleur film de la série, mais on les voit s'affronter, enfin. Bien sûr il n'y a pas de vainqueur, entre deux icônes absolues du chambara. Zatoïchi est une série fabuleuse, le masseur aveugle un personnage entre Charlot et Dirty Harry. Les studios japonais produisaient, dans les années soixante et soixante-dix, des films populaires extrêmement racés. Kinji Misumi en a réalisé une tripotée, et tant d'autres "petits" maîtres comme Kihachi Okamoto, Hideo Gosha... Des films comme le sabre du mal, ou bien Hitokiri, ou encore le premier Zatoïchi de la série, sont pour moi des chefs-d'œuvre que je ne me lasse pas de revoir, qui m'émeuvent profondément à chaque fois par leur puissance dramatique, leur virtuosité dans l'action et leur splendeur artistique. (Les 7 samouraïs, mon Kurosawa préféré, avec chien enragé, je ne le range pas dans la même catégorie, même si c'est un de mes films de chevet, un monument de poésie épique, car c'est un jidai geki, antérieur au chambara. Ce n'est pas la même histoire. Le chambara, c'est le sabre, juste le sabre. C'est le jidai geki raclé jusqu'à l'os. Le sabre, c'est l'âme du samouraï. Ça en devient parfois très mystique.) Ma maîtresse d'aïkido a vite remarqué que j'aimais bien le boken, le sabre. Pas étonnant, avec tous ces films... Musashi lui aussi se battait avec un sabre en bois.
Relire Vie de Samuel Belet a été comme retrouver un ami très cher. Il me raconte toujours un peu la même histoire mais j'aime tellement entendre sa voix. Dans sa voix il y a la terre, le vent, l'eau et le feu. C'est tout simple. Ça parle directement, sans finasser, humblement. Il me parle de moi-même, Ramuz, Charles-Ferdinand, dans ce livre, car je suis Samuel Belet, au fond, là, il n'y a que le lac à traverser. J'y suis d'ailleurs allé, l'été dernier, y faire un petit tour, mais plutôt vers Montreux, rendre visite à Christian, un ancien voisin de la rue du Bœuf devenu camarade de beuveries et discussions philosophiques autour d'une boîte de sardines, qui s'est rabiboché quinze ou vingt ans après avec son ex-femme vaudoise. (Sa fille s'appelle Reine, vit à Neuchâtel et je l'aime beaucoup, Couicouine.) Bref, je suis allé voir Christian, dans une campagne par là-bas, et il m'a emmené boire un coup au bordel, juste pour le plaisir de répondre, goguenard, à son ex-ex-femme, le soir, à la question habituelle du vous avez fait quoi : on est allés aux putes... C'est là que j'ai fait la connaissance de Suzanna. Elle devait à peine avoir vingt ans mais son corps semblait déjà bien fatigué, était portugaise, venait de Coimbra. Je vous trouve très bien, m'a-t-elle dit en s'installant à notre table... Toi vouloir amour avec moi?... C'est un pays bien étrange, la Suisse. On y trouve des bordels en plein jour, avec terrasse, en bout de zone commerciale, en pleine campagne. (Le Cheyenne, déco hacienda mexicaine, banquettes simili vaches tachetées... C'est un ancien juge, il paraît, qui a monté l'affaire...) On y voit aussi des nuées de gigolos, à Montreux, au bord du Léman, promenant le caniche ou le lévrier de madame. Je repense parfois à Suzanna, je me souviens bien de son visage, ses sourcils noirs très épais, ses lèvres trop rouges, sa façon timide de baisser les yeux, sa peau laiteuse, ses seins lourds, j'imagine ce que doit être sa vie. Elle n'était pas très à l'aise, débutais je crois dans le métier. (Une de ses collègues, une volcanique Espagnole au déhanché ahurissant, avait toujours un œil sur elle, l'encourageait de loin tout en caressant la nuque d'un pépé sec et rougeaud. J'aurais aimé avoir l'audace de sortir ma petite caméra...) Elle a semblé très vexée et est partie sans un mot quand, au bout d'un quart d'heure, je lui ai dit qu'on était seulement venus boire un verre et que je ne voulais surtout pas lui faire perdre son temps et que si j'étais venu pour ça, sans hésiter, j'aurais dit oui, car elle était très jolie. Ce que je ne lui ai pas dit, c'est qu'elle était très émouvante, dans sa maladresse et que, pour le coup, j'en serais peut-être tombé amoureux, si on était allés plus loin, façon prince Mychkine, je me connais, il ne valait donc mieux pas, je crois.
dimanche 8 février 2009
mercredi 4 février 2009
J'ai depuis bien longtemps vu et revu tous les films d'Andreï Tarkovsky. Mon premier était son dernier : le Sacrifice. Quand il est sorti, en 1986, je suis allé le voir trois fois dans la même semaine, dans une salle déserte à chaque fois, comme s'il n'avait été tourné que pour moi. Je crois que c'est par ce film que je suis vraiment devenu cinéphile. Ce fut même une expérience qui dépassa largement le cadre du cinéma. (C'est peut-être ça, être cinéphile.) Chacun de ses 7 films est indispensable. Il n'a jamais refait le même. Le premier plan du premier film : un arbre vivant. Le dernier plan du dernier film : un arbre mort. Juste au milieu de sa filmographie, il y a le miroir. Si je ne devais garder qu'un film de Tarkovsky, ce serait le miroir. Dans son œuvre, c'est comme une clé de voûte, en plus d'être un miroir, une sorte de synthèse peut-être aussi, son poème. Une fois sur deux, je suis stupéfié par le miroir. Une fois sur deux, je m'y ennuie à mourir, n'ayant pas retrouvé ce qui m'avait transporté. C'est un film très étrange qui ne se laisse jamais vraiment saisir. Il est un peu comme la zone, dans Stalker. Le chemin n'est jamais le même. Tout change sans arrêt. Il faut pouvoir y entrer d'un cœur pur, sans idées préconçues, peut-être même avoir la foi.
J'ai tout lu et ne suis pas loin de tout avoir relu Cormac Mc Carthy. Je me souviens précisément de l'instant, il y a une dizaine d'années, où j'ai pris, à la bibliothèque, un peu au hasard, avec toute une brassée d'autres livres que j'ai oubliés, le gardien du verger. Je sortais de ma période Jack London, venais aussi de lire un peu Jim Harrison. Je me revois, la tête penchée, lisant le titre sur la tranche, le doigt dessus, hésitant. Sobre, élégant, ce titre, je m'étais dit. Je l'ai lu un peu péniblement, jamais vraiment plongé dedans, souvent dérouté par le style. Peut-être une année a passé. J'ai alors lu un enfant de Dieu, pour lui donner une seconde chance, qui m'a estomaqué. La première fois que je me suis retrouvé ayant tout lu Cormac Mc Carthy, j'ai frôlé la dépression. Que vais-je pouvoir lire, maintenant, la chair est triste, hélas, et caetera... Puis j'ai commencé à le relire, le gardien du verger y compris, et c'était encore mieux. A la fin de la route, je me suis une fois de plus senti immensément orphelin.
lundi 2 février 2009
Au moment même où je suis né, John Coltrane jouait Peace on Earth, à Tokyo. Un jour, je suis entré dans un magasin de musique, enfin décidé à m'offrir une trompette, car il me semblait que j'étais fait pour la trompette et depuis des années ça me trottait dans la tête. Bonjour, j'aimerais un saxophone s'il vous plaît, comme j'aurais commandé une baguette de pain dans une boulangerie. Un peu troublé par mon lapsus mais n'ayant qu'une parole, je ne me suis pas repris, me suis juste traité d'idiot en sortant avec cette chose que je n'avais pas voulue, mais peut-être bien secrètement désirée, me suis-je dit un peu plus tard au moins pour me consoler et me sentir moins con. Peu de temps après, j'ai acheté un nouveau bec pour mon saxophone, que je n'ai pas vraiment choisi car je n'y connaissais rien et mon marchand de musique m'aurait vendu ce jour-là n'importe quoi. De retour chez moi, je me suis aperçu, en regardant une pochette de disque, que le bec que je venais de m'offrir était le même que celui de Coltrane, un Otto Link. (Il s'est très vite et agréablement adapté à ma bouche et j'ai enfin réussi à sortir des sons convenables de mon instrument. Certains de mes voisins se sont alors mis à penser que j'étais musicien et j'ai dû bientôt leur expliquer que non.) C'est quelques mois plus tard que je suis tombé sur son concert au Japon, tout émoustillé de découvrir un nouvel enregistrement de mon idole, pour ne pas dire mon dieu, mon magnifique dieu noir, ravi de réaliser ensuite qu'il avait eu lieu le 22 juillet 66, encore plus quand (j'avais entre temps téléphoné à ma mère pour lui demander si elle se souvenait de l'heure : Midi vingt... Pourquoi?... Oh... juste comme ça...) ayant calculé le décalage horaire, je me suis rendu compte, tout frissonnant, au bord de l'évanouissement, que j'étais peut-être bien né à ce moment-là, au tout début du concert il se pouvait bien. Il jouait du ténor et du soprano. Sauf que, ce soir-là, il joua exceptionnellement de l'alto, car la firme Yamaha lui en avait offert un. Mon saxophone est un Yamaha, un alto. J'aime bien, ce genre de petites bêtises. En tout cas, c'est magique, d'avoir un tel enregistrement, se dire qu'on est né là, pas seulement dans une petite clinique d'une petite ville terne de Haute-Savoie... Les cris alors se mêlent, puis les moments de douceur... une sorte de litanie, à travers le temps et les âges, qui monte, monte... sans jamais redescendre... Ma mère m'a toujours dit que j'étais sorti sans faire d'histoires, sans douleur et qu'ensuite j'avais été longtemps un enfant adorable, souriant, curieux, éveillé, pas capricieux pour un sou ni même pour deux... (Puis ça a changé, mais c'est une autre histoire...) Pendant plusieurs années, j'ai écouté Peace on Earth pour mon anniversaire, seul avec Mouchette, autour de midi, mes plus beaux anniversaires.